Vingt ans plus tard, ce projet éducatif financé sur les deniers personnels du poète, puis grâce aux ventes de ses livres et de ses toiles et à grand renfort de conférences données à travers l’Inde et le monde pour inciter au mécénat, devient la Visva-Bharati. Dans cette université internationale, ambitieuse et atypique, perdue dans la campagne bengalie, certains cours ont lieu à l’ombre des banyans, les garçons et les filles de toutes castes et de tous milieux se côtoient, ce qui n’est pas sans déranger tant l’orthodoxie brahmanique que le pouvoir colonial. On y insiste sur la laïcité, la mixité, l’égalité, le libre arbitre et la communion avec la nature. Qu’ils soient indiens, asiatiques ou européens, certains admirateurs de Tagore et de sa pensée humaniste et universelle viennent s’y ressourcer ou apporter leur aide comme professeurs. C’est le cas de l’indologue Sylvain Lévi qui, accompagné de son épouse, y enseigne sept mois à compter de novembre 1921. Il est suivi en 1923, de la peintre et graveuse Andrée Karpelès, grande amie de Tagore et de sa belle-fille, du linguiste suisse Fernand Benoît, de l’indianiste et musicologue Alain Daniélou et de son compagnon, le photographe suisse Raymond Burnier, qui multiplient les séjours entre 1932 et 1936. Toujours du vivant du poète, la discrète Christine Bossennec, outre sa fonction d’administratrice de l’internat des jeunes filles de 1937 à 1940, figure parmi les proches de la famille. D’autres français ou francophones viennent y donner des conférences ou s’en faire une simple idée, profitant d’un séjour à Calcutta. Citons le spécialiste de droit colonial Henry Solus en février 1924, l’écrivain des religions roumain Mircea Eliade en 1930 et le poète belge Henri Michaux en 1932. Enfin, l’institut agricole de Sriniketan situé dans un village voisin, lui aussi par Tagore et Leonard Elhmirst, sera un terrain d’étude important pour des chercheurs tels qu’Arthur Geddes, lequel écrira sa thèse soutenue à Montpellier sur le district de Birbhum. Romain Rolland ne pouvant s’y rendre pour raisons de santé se contentera de relations épistolaires avec Tagore et son disciple francophone Kalidas Nag, rapportées dans L’Inde, qui permettent d’apprécier les étapes du projet, ses contraintes et les obstacles rencontrés lors de son développement.
Publié en novembre 2024