Benoît de Boigne incarne pleinement la figure de l’aventurier. Après un début de carrière riche en rebondissements, il passe près de vingt ans en Inde, où il acquiert gloire militaire et prospérité. La ville de Chambéry conserve encore aujourd’hui la marque de son parcours entre l’Europe et l’Inde de la fin du XVIIIe siècle.
D’un engagement militaire à un autre
Benoît de Boigne naît en 1751 à Chambéry, à une époque où la Savoie fait partie du royaume de Sardaigne. De son vrai nom Leborgne, qu’il transforme en de Boigne, il est le fils d’un artisan fourreur. Il rejoint en 1768 le régiment de Clare de la Brigade irlandaise de l’armée française, avec lequel il séjourne à l’Île Maurice. Il démissionne après son retour en France et s’engage auprès de l’armée russe en Méditerranée orientale. Capturé par les Turcs en 1774, il est libéré peu de temps après. On ne sait pas grand-chose de son parcours dans les années qui suivent. En 1777, il se trouve à Alexandrie, d’où il embarque pour l’Inde. Arrivé à Madras, il s’engage dans un régiment d’infanterie indigène de l’East India Company. Il en démissionne quelques années plus tard et se rend à Lucknow, où il se lie d’amitié avec William Palmer, Antoine Polier et Claude Martin. En 1784, il entre au service du chef marathe Mahaji Sindhia.
Le commandant des armées de Sindhia
Sindhia, auquel l’empereur moghol Shah Alam II a accordé le titre de régent plénipotentiaire, est alors l’homme fort de l’Hindoustan. De Boigne forme pour lui deux régiments d’infanterie de 850 hommes, puis plusieurs brigades. Ses troupes, bien entraînées et entretenues, contribuent à asseoir la domination de Sindhia en Inde du Nord. Elles s’illustrent en 1790 lors des batailles de Patan et Merta contre les Rajputs de Jaipur et du Marwar. En 1793, un autre adversaire de Sindhia, Tukaji Holkar, prince marathe d’Indore, est défait à Lakheri.
Un Européen fortuné et influent dans l’Hindoustan du XVIIIe siècle
En échange de ses services, Sindhia accorde à de Boigne des concessions fiscales appelées jagirs. La taille et la valeur des terres concernées augmentent à mesure que les responsabilités de ce dernier prennent de l’ampleur. Il en dégage d’importants surplus et se lance dans le commerce de l’indigo.
De Boigne est souvent présenté comme ayant œuvré à la restauration du Taj Mahal. En 1794, Sir John MacGregor Murray lui demande d’intervenir auprès de Sindhia pour que l’édifice soit maintenu en bon état. Murray et De Boigne échangent plusieurs lettres au sujet du Taj Mahal et du sort de la famille impériale. Si leur correspondance ne semble pas avoir débouché sur de réelles mesures de préservation du mausolée, elle illustre l’influence acquise par de Boigne sur la scène politique indienne. En contact avec les chefs marathes et l’empereur lui-même, il reçoit des titres prestigieux, tel celui d’I’timad ud-Daula (Pilier de l’Empire).
Comme d’autres Européens à la même époque, de Boigne entretient des relations avec des femmes indiennes. Il épouse la belle-sœur de William Palmer, Nur Begum, et en a deux enfants, Banu Jan et Ali Baksh.
Retour en Europe
En 1795, après une dizaine d’années au service de Sindhia et de son héritier, Daulat Rao, de Boigne quitte l’Inde avec sa famille pour des raisons de santé. Il emporte avec lui un important chargement, contenant notamment des armes, des miniatures et des objets précieux, tel un houka en or avec ses accessoires. De Boigne et sa famille débarquent en Angleterre, tandis que le navire danois à bord duquel ils ont voyagé continue sa route. Le bateau fait naufrage avant d’arriver à Copenhague. Les malles de De Boigne, que celui-ci avait laissées à bord, sont perdues en mer. Elles ont par la suite été en partie retrouvées, sauvant ses effets personnels et sa collection.
De Boigne et sa famille s’installent en Angleterre sous le nom de Bennett. Sa femme et ses enfants, baptisés, s’appellent désormais Helen, Ann Elizabeth et Charles Alexander. De Boigne pourvoit à leurs besoins, mais il épouse Adèle d’Osmond, fille d’immigrés français, en 1798. Ce mariage tourne court et il rentre seul en Savoie en 1802.
Le bienfaiteur de Chambéry
Il s’installe à Chambéry, où il acquiert et embellit le château de Buisson Rond. Il met à profit sa fortune pour donner d’importantes sommes d’argent à la ville. Ses largesses, qui s’élèvent à plus de 3 millions de livres, sont essentiellement destinées à des œuvres pieuses et caritatives. De Boigne reçoit des distinctions honorifiques de la part des rois de France et de Sardaigne. Devenu comte, il est nommé lieutenant-général des armées du roi de Sardaigne. Il meurt en 1830, avec Charles Alexandre pour héritier.
Une fontaine monumentale est érigée en son honneur à Chambéry. Inaugurée en 1838, elle comporte quatre éléphants surmontés de tours de combat et de trophées d’armes, sur lesquels s’élève une colonne portant la statue du général. Les inscriptions, bas-reliefs et objets représentés illustrent les hauts faits de sa carrière indienne et sa générosité à l’égard de sa ville natale. Classée au titre des monuments historiques en 1982, la Fontaine des Éléphants est devenue l’un des monuments emblématiques de Chambéry, symbolisant la renommée que de Boigne s’est forgée en Inde.
Publié en janvier 2022