Musée Adam Mickiewicz à Paris

Le musée Adam Mickiewicz à Paris ouvrit ses portes le 3 mai 1903, après plusieurs années de débats sur le choix de son emplacement.

À l’origine, Cracovie et Nowogródek, lieu symbolique de naissance du poète, avaient été envisagés. Cependant, Nowogródek se trouvant à l’époque sous la domination russe, était difficilement accessible à ceux qui souhaitaient promouvoir la culture polonaise. C’est le fils aîné du poète-prophète, Ladislas (Władysław) Mickiewicz (1838-1926 qui l’inaugura. 

Adam Mickiewicz, figure emblématique du romantisme

Adam Mickiewicz, l'un des plus grands poètes polonais, fut une figure emblématique du romantisme européen. À partir de 1832, il s'établit définitivement en France, principalement à Paris et dans ses environs. Il devint l’un des chefs spirituels de la "Grande Émigration", comme on appelle cette vague de réfugiés polonais contraints à l’exil après la chute de l'Insurrection de novembre 1830. C'est là qu'il écrivit l'épopée nationale Pan Tadeusz (Messire Thadée) (1834) qui aux côtés des Ballades et romances (1822) et les parties IV (1823) et III (1832) de Dziady (Les Aïeux), lui apporta une renommée européenne et une place particulière dans le canon littéraire polonais.

Genèse du musée

Son fils, Ladislas (Władysław) Mickiewicz, bien qu’il n’ait pas suivi la voie littéraire de son père et ne soit pas devenu poète, consacra sa vie à préserver la mémoire de ce dernier. Historien et journaliste, il s’employa à collectionner des souvenirs liés à son illustre parent, incluant des manuscrits et des documents iconographiques. Pour Ladislas, son père n’était pas seulement un guide spirituel de l’émigration, mais aussi une figure visionnaire de la future renaissance d’un État polonais indépendant.

C’est dans cet esprit que Ladislas Mickiewicz décida de créer le Musée Adam Mickiewicz à Paris. Son objectif était de conserver les objets et souvenirs liés à son père qu’il avait collectés pendant des décennies à travers le monde. Il voulait les rendre accessibles non seulement aux Polonais vivant sous la domination étrangère, mais aussi au public français, curieux de découvrir la culture polonaise et l’œuvre de Mickiewicz, très appréciées dans les cercles intellectuels de l’époque. Le musée, considéré comme une réalisation personnelle de Ladislas Mickiewicz, est présenté ainsi par sa collaboratrice Bronisława Mońkiewicz dans son guide publié en 1929, intitulé Musée Adam Mickiewicz à Paris - Notice explicative à l'usage des visiteurs.

Échos dans la presse française et recherche du financement

La création du Musée Adam Mickiewicz suscite l’attention de la presse française. Des journaux tels que L’Écho de Paris (22 novembre 1901) et dans son numéro du 21 novembre 1932, et Le Français (5 décembre 1901) en parlent, tout comme La Revue Bleue, dans un article de Gabriel Dauchot publié le 1er août 1903, ou encore La Liberté (16 avril 1907). Ces articles évoquent, entre autres, la question des fonds nécessaires à l’ouverture et au fonctionnement de l’institution. À l’origine, Ladislas Mickiewicz comptait sur le soutien financier de l’Académie des Arts et des Sciences de Cracovie pour couvrir les frais de création du musée. Cette institution administrait également la Bibliothèque Polonaise de Paris, où une exposition dédiée au poète était déjà présentée. Depuis 1853/1854, la Bibliothèque Polonaise est installée dans un hôtel particulier situé au 6, quai d’Orléans, dans le quatrième arrondissement de Paris. Ce lieu abrite également le siège de la Société historique et littéraire polonaise. Pour accueillir le Musée Mickiewicz, un troisième étage fut ajouté à l’aile droite du bâtiment. La création de cette nouvelle institution fut officiellement soutenue par le Comité local de la Bibliothèque lors de sa réunion du 27 octobre 1901.

Un des premiers musées littéraires

Le musée Adam Mickiewicz fut l'un des premiers musées littéraires à Paris. Son ouverture précédait la création du musée Victor Hugo (Maison de Victor Hugo, inaugurée le 30 juin 1903) et coïncidait avec le projet d'aménager une salle dédiée à George Sand au musée Carnavalet (1926), une initiative de sa petite-fille, Aurore, qui entretenait, par ailleurs, des liens d'amitié avec Ladislas Mickiewicz. Une salle consacrée à l’œuvre du poète polonais fut également inaugurée au Musée national polonais de Rapperswil en Suisse. Le deuxième musée Mickiewicz était l'appartement du poète à Vilnius, ouvert au public en 1911 grâce aux efforts de Jan Obst, journaliste et historien lié à cette ville.

Le musée parisien dédié à Mickiewicz, fut d’abord installé dans l'appartement de son fils Ladislas au 7 rue Guénégaud. Ce lieu, fréquenté par de grands artistes et hommes d'État tels qu'Ignacy Jan Paderewski et Władysław Sikorski, était dédié à la présentation des souvenirs et manuscrits du poète, rassemblés par ses descendants. Les conditions matérielles étaient modestes, les collections étant exposées dans quelques pièces à l'entresol. La famille Mickiewicz consacrait l'intégralité de ses revenus à des activités muséales et caritatives, ainsi qu'à des initiatives patriotiques, comme la création d'une armée polonaise en France pendant la Première Guerre mondiale. À l'origine, le musée ouvrait ses portes une fois par semaine, le jeudi après-midi, de 13 h à 16 h, et les visites étaient assurées par Ladislas lui-même. Ce contexte souligne également le caractère particulier de cette institution, où une visite semblait plus être une rencontre avec un proche qu'une simple visite muséale. 

Musée au caractère hybride

Fondé comme un lieu de mémoire dédié à un homme illustre, ce musée embrassa rapidement les fonctions d’un musée littéraire et celles d’un musée d’art, jouant parfois le rôle d’un centre culturel moderne. Comme dans toute institution littéraire, y étaient présentés les manuscrits du poète ainsi que sa bibliothèque privée, où figuraient des livres que le poète avait offerts et dédicacés à ses amis et que son fils Ladislas récupéra. Parmi les œuvres d’art exposées figuraient des pièces de grands artistes polonais et français, telles que des dessins de Jan Matejko, un portrait de Mickiewicz par Jan Styka, des portraits à l'huile du poète et de la pianiste et compositrice Maria Szymanowska, (par ailleurs mère de son épouse Célina), par Walenty Wańkowicz, une esquisse da la Communion de saint Jérôme par Domenico Zampieri, dit le Dominiquin (1581-1641), un portrait dessiné d’Adam Mickiewicz par Eugène Delacroix, ainsi que le projet initial du monument de Mickiewicz par Émile Antoine Bourdelle (1929). Ce musée, tel que conçu par Ladislas, remplissait également le rôle d’un centre culturel moderne par son ambition de promouvoir la culture polonaise et de commémorer l'émigration polonaise en France. Cette vocation se traduit, entre autres, par la présence dans la collection du buste du prince Adam Czartoryski et du portrait d’Andrzej Towiański. On pourrait alors s’interroger : s’agissait-il d’un musée de l’exil ou peut-être d’un musée en exil ? Était-ce une institution créée par des exilés privés de leur patrie et de leurs descendants – Ladislas, lui-même, étant partiellement un Polonais francophone – qui œuvrait à sensibiliser l’opinion publique étrangère de la nécessité pour la Pologne de recouvrer son indépendance et de revenir sur les cartes de l’Europe, grâce au soutien diplomatique et militaire de la France ? Le musée Mickiewicz de Paris devint ainsi le modèle pour les lieux de mémoire créés par des nations privées de leur patrie. 

Au cours des premières décennies, le musée présentait deux grands récits historiques. Le premier, conçu par Ladislas Mickiewicz, fut, tout naturellement, centrée sur la figure de son père, considéré comme le guide spirituel de la Grande Émigration, le prophète annonçant le recouvrement de l’indépendance par la Pologne. Par la suite, une autre approche apparut avec la publication du guide rédigé par Bronisława Mońkiewicz sous le titre Musée Adam Mickiewicz à Paris – notice explicative à l’usage des visiteurs. Il accompagnait une nouvelle exposition qui, après la mort de Ladislas en 1926, remplaçait celle qu’il avait créée. Cette exposition, élaborée sans doute par le nouveau directeur du musée, Franciszek Pułaski, et Bronisława Mońkiewicz, mettait l’accent sur des aspects franco-polonais de la biographie d’Adam Mickiewicz (déjà présents dans la conception initiale de Ladislas). Cette approche transforma le musée, initialement dédié à l’indépendance polonaise, en une institution culturelle franco-polonaise sous le patronage d’Adam Mickiewicz. Une attention particulière fut portée aux relations du poète avec les historiens français, Jules Michelet et Edgar Quinet, fervents défenseurs de la République, avec lesquels il enseigna au Collège de France, ainsi qu’à ses liens avec George Sand.

Le musée existe encore aujourd'hui et fonctionne dans sa configuration actuelle depuis 2004, année marquée par l'achèvement d'une importante rénovation du bâtiment. Il offre un panorama fascinant de la vie et de l’œuvre d’Adam Mickiewicz et de son époque malgré les pertes subies durant la Seconde Guerre mondiale, dues notamment aux pillages nazis dont toute la Bibliothèque Polonaise fut victime.

 

Publié en décembre 2024