Jeunesse et débuts de la passion orientaliste
Né à Korchow, près de Lublin, en 1807, issu de la petite noblesse polonaise, Wojciech Kazimirski reçut une éducation de qualité à l'École régionale de Lublin. Diplômé en droit de l’Université de Varsovie en 1827, il exerça un temps comme juriste avant de se tourner vers sa passion pour les langues étrangères. En 1828, il entama des études hébraïques chez l’abbé et orientaliste italien Luigi Chiarini. Grâce au soutien de son mécène, le comte Tytus Działyński, il rejoignit l’Université de Berlin en 1829, où il étudia la philosophie auprès de Georg Hegel et la philologie avec Franz Bopp. Il se passionna alors pour la littérature indienne, apprenant le sanskrit, le bengali, ainsi que l'arabe et le persan.
Engagement patriotique pour la Pologne
Durant son séjour à Berlin, il lut le Coran et acheva une traduction en polonais des Fables de Luqman (Przypowieści Lokmana mądrego). L’insurrection polonaise de 1830 interrompit son parcours académique. Il retourna à Varsovie pour soutenir l’indépendance polonaise aux côtés de son mentor Joachim Lelewel. Il joua un rôle actif : publiciste de l’Insurrection, meneur de la révolte du 15 août 1831 et instigateur du coup d’État contre le général Henryk Dembiński. Contraint à l'exil, il s'installa à Paris en octobre 1831. Il reçut le soutien du Prince Adam Jerzy Czartoryski qui finança ses études arabes et persanes au Collège de France et à l’École des langues orientales chez Sylvestre de Sacy.
Contributions majeures à l'orientalisme
En 1839, il composa avec Stanisław Ropelewski un Dictionnaire polonais-français, dit Dictionnaire de l’Émigration. La même année, il publia une traduction du Coran et fut nommé drogman, interprète de l’ambassade française en Perse, où il reçut l’ordre du Lion et du Soleil du Shâh Muhammad Qâdjâr. À son retour en France, il améliora considérablement sa traduction du Coran, qu'il révisa en 1840, 1842 et 1852. Ce travail rigoureux rencontra un succès littéraire considérable à l’échelle mondiale, avec plus d'une cinquantaine de rééditions à ce jour. De même, son grand Dictionnaire arabe-français, en deux volumes (1845–1860), constitua une innovation majeure, tous les dictionnaires antérieurs étant français-arabe. De plus, il est le seul, même de nos jours, à mêler à la fois l’arabe littéraire, les mots modernes et différents dialectes du monde arabe. Cet ouvrage, surnommé « le Kazimirski », jouit d’une pérennité exceptionnelle et demeure une référence dans son domaine.
Une carrière diplomatique respectable
En 1851, il entama une carrière diplomatique au ministère des Affaires étrangères de France en tant qu’interprète des langues orientales, attaché au cabinet du ministre. Sa carrière prit de l’ampleur durant la guerre d’Orient en 1853 contre la Russie. Le ministre Alexandre Colonna-Walewski, fils naturel de Napoléon et de Marie Walewska, en fit un agent de liaison officieux avec l’Hôtel Lambert. Il joua ensuite un rôle essentiel dans le traité de paix entre la Perse et l’Angleterre en 1857. La reine Victoria le récompensa d’une tabatière en diamant, tandis que la France le naturalisa en 1864, le fit chevalier en 1857, puis officier de la Légion d’honneur en 1869. Il reçut également l’ordre prussien de l’Aigle rouge en 1858. Il recevait les ambassadeurs orientaux et fut le traducteur personnel du Shâh Naser ed-Din Qadjar lors de sa visite en France en 1873. Il n’oublia jamais sa terre natale et était apprécié par les deux princes Czartoryski, qui le sollicitaient pour diverses tâches, surtout Ladislas, qui en fit, son conseiller pour ses collections orientales du musée Czartoryski inauguré en 1878 à Cracovie.
Un amoureux de la littérature persane
Kazimirski consacra ses deux dernières décennies à la littérature persane. Il publia en 1876 la traduction en polonais de Gulistan, (Le Jardin des roses) de Saadi, célèbre poète persan du XIIIe siècle. La même année, il se fit remarquer en publiant une traduction française d'extraits d'un recueil inédit en Europe, avec son Spécimen du Divan de Menoutchehri. Bien qu'il n’obtînt pas la chaire persane du Collège de France en 1876, il ne se laissa pas décourager et redoubla d'efforts pour achever en 1883 son troisième dictionnaire bilingue, Dialogues français-persans. En 1886, le ministère le pressa de prendre enfin sa retraite. Sentant sa fin proche, il publia son livre d’adieu, Menoutchehri : poète persan du XIe siècle, incluant plus de cent cinquante pages sur l’histoire de l’Islam et de la littérature persane.
Kazimirski laissa une empreinte unique dans le monde orientaliste, à travers son parcours atypique et ses publications marquantes. Son héritage perdure et ses œuvres continuent d’influencer les études orientales, affirmant sa place comme figure emblématique de l’orientalisme en France et en Pologne.
Publié en novembre 2024