Gustave Flaubert (1821-1880)

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Même si la publication de son Voyage en Orient est posthume, le grand romancier Gustave Flaubert contribua à la passion de son siècle pour l'Orient avec La Tentation de saint Antoine, Salammbô et Herodias.

Lorsqu’il s’embarque pour l’Orient, le romancier Gustave Flaubert (1821-1880) a déjà visité sa Normandie natale, Paris, Versailles, Fontainebleau, les Pyrénées, la Corse, la Provence, l’Italie, la Suisse. Il vient d’achever la première version d’un long poème philosophique en prose, La Tentation de saint Antoine, méditation burlesque et désenchantée sur l’anachorète retiré dans le désert égyptien où le diable le tente sous forme de visions des voluptés terrestres ; il ne le publiera qu’en 1874. Les manuscrits des trois étapes de la rédaction de La Tentation de saint Antoine (1848, 1856, 1870-1872) et d’un projet de conte oriental, Anubis, préfiguration de Salammbô, sont consultables sur Gallica, ainsi que les trois fragments publiés par Flaubert dans la revue L’Artiste, également numérisée (21 et 28 décembre 1856, 1er février 1857).

L’année où il commence la première Éducation sentimentale, en 1843, le futur auteur de Madame Bovary rencontre l’écrivain et photographe Maxime Du Camp, avec lequel il fait une excursion en Bretagne en 1847. Flaubert entame son périple oriental le 29 octobre 1849. Il visite l’Égypte, la Palestine, Rhodes, l’Asie mineure et regagne la France en 1851, par la Grèce et l’Italie. Flaubert ne publia pas la relation de ce voyage, où le dépaysement donne un relief particulier à ses charges contre les clichés de la bêtise bourgeoise, particulièrement virulentes dans ses lettres à sa mère et à son ami Louis Bouilhet : sa correspondance peut être lue en parallèle de son récit, qui parut pour la première fois chez l’éditeur Louis Conard en 1910. Il fallut attendre 2006 pour voir paraître chez Gallimard, dans l’édition de Claudine Gothot-Mersch, l’édition complète de ce Voyage en Orient. Les carnets du voyage, conservés à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, peuvent être consultés sur Gallica (Carnets n° 4, 5, 6, 7, 8 et 9).

D’avril à juin 1858, Flaubert voyagea en Algérie et en Tunisie, pour son futur « roman carthaginois », Salammbô, « Thébaïde où le dégoût de la vie moderne l’a poussé », roman dans lequel le critique Émile Faguet discerne un pessimisme matériel répondant au pessimisme abstrait de La Tentation de saint Antoine. Réaliste par choix, pour contrer ses pulsions romantiques (de Victor Hugo, Flaubert dit que c’est l’homme qui lui a le plus fait battre le cœur depuis qu’il est né), l’écrivain se lance dans un roman historique situé au IIIe siècle av. J.-C., à Carthage au moment de la guerre des Mercenaires. Il pimente son ordinaire à la sauce carthaginoise. Ainsi, dans les premiers jours de mai 1861, il invite à dîner les frères Jules et Edmond de Goncourt : « À 7 heures, dîner oriental. On vous y servira de la chair humaine, des cervelles de bourgeois et des clitoris de tigresse sautés au beurre de rhinocéros ; après le café, reprise de la gueulade punique jusqu’à la crevaison des auditeurs. Ça vous va-t-il ? » Après 5 ans de travail (dont témoignent les manuscrits, les brouillons et les notes conservés par la BnF), en avril 1862, Flaubert achève enfin Salammbô qui, sorti en novembre, se vend à mille exemplaires par jour en dépit des critiques sur sa documentation archéologique. Jaloux de son succès, le critique Sainte-Beuve et l’érudit Guillaume Froehner le chicanèrent sur sa documentation archéologique, comme si la valeur du roman dépendait de son exactitude historique. Flaubert, à côté de ses lectures des textes anciens, s’était renseigné auprès de son savant ami Ernest Feydeau, qui avait également conseillé Théophile Gautier pour Le Roman de la momie : Feydeau lui imposa l’exactitude de la couleur avant celle des faits. À ses détracteurs, Flaubert opposa victorieusement le credo qu’il confiait en 1857 à Feydeau : « Je ne te montrerai rien de Carthage avant que la dernière ligne n’en soit écrite, parce que j’ai bien assez de mes doutes sans avoir par-dessus ceux que tu me donnerais. Tes observations me feraient perdre la boule. Quant à l’archéologie, elle sera “probable”. Voilà tout. Pourvu que l’on ne puisse pas me prouver que j’ai dit des absurdités, c’est tout ce que je demande. Pour ce qui est de la botanique, je m’en moque complètement. J’ai vu de mes propres yeux toutes les plantes et tous les arbres dont j’ai besoin. Et puis, cela importe fort peu, c’est le côté secondaire. Un livre peut être plein d’énormités et de bévues, et n’en être pas moins fort beau. » La postérité consacra le succès du roman. Le personnage spectaculaire de Salammbô, fille du suffète carthaginois Hamilcar, général des mercenaires qui se révoltent pour n’avoir pas reçu leur solde après leur participation à la première guerre punique, et qui meurt le jour de son mariage avec le roi des Numides, à la vue du martyre de son prétendant libyen Mathô, maudite pour avoir touché le manteau de la déesse Tanit, a inspiré des musiciens (Ernest Reyer, Modeste Moussorgski, plus récemment Philippe Fénelon), de nombreux peintres et sculpteurs (Théodore Rivière, Alfons Mucha, Gaston Bussière), sans parler des innombrables essais littéraires et universitaires.

L’ensemble du dossier de Salammbô est disponible sur Gallica (les cinq volumes de brouillons (N.A.F. 23658-23662), le manuscrit autographe (N.A.F. 23656), le manuscrit des copistes (N.A.F. 23657), les notes prises en Afrique du Nord, les notes de lecture. On y accède par un lien unique.

            La dernière contribution de Flaubert à l’orientalisme littéraire, située en Palestine sous la domination romaine, est Hérodias, nouvelle tirée d’un épisode de l’Évangile de Marc, parue dans Le Moniteur universel et reprise en 1877 dans les Trois Contes : prisonnier d’Hérode Antipas à la demande de sa femme Hérodias, Iaokanaan (saint Jean-Baptiste) reproche au tétrarque d’avoir épousé sa propre nièce, qui le hait. Lors de son festin d’anniversaire, Hérode promet à une très jeune danseuse, Salomé, de lui offrir ce qu’elle souhaite : ce sera, à la demande de sa mère Hérodias, la tête de Ioakanaan. Le conte de Flaubert inspira en 1881 un opéra à Jules Massenet, Hérodiade. Les figures d’Hérodiade et de Salomé influencèrent aussi le poète Stéphane Mallarmé, le peintre Gustave Moreau et le dramaturge anglais Oscar Wilde. Admirateur de Flaubert, Anatole France qui venait de publier Thaïs (conte oriental que Massenet adapta également à l’opéra en 1894), préfaça en 1892 une réimpression d’Hérodias, illustrée par Georges-Antoine Rochegrosse.

Le manuscrit d’Hérodias a été offert le 11 mai 1914 par la nièce de l'auteur, Mme Franklin-Grout, à la BnF où il a reçu la cote N.A.F. 23.663. Les manuscrits des Trois Contes sont accessibles sur Gallica : vol. I et vol. II.