Écrivain et traducteur français lié au mouvement romantique, Gérard de Nerval a produit une œuvre diverse et protéiforme. L’Orient, où il voyagea de 1842 à 1843, polarisa durant toute sa vie sa quête esthétique et spirituelle.
Gérard de Nerval (1808-1855), écrivain et traducteur français lié au mouvement romantique a produit une œuvre diverse et protéiforme. L’histoire littéraire retient surtout ses textes tardifs où l’évocation mélancolique du passé rivalise avec les « rêveries supernaturalistes », tous écrits entre 1854 et 1855, période ponctuée de crises de folie aiguës : un recueil de poème (Les Chimères), un recueil de nouvelles (Les Filles du feu) et un récit de rêve (Aurélia ou Le Rêve et la Vie). Influencé par le monde germanique, il réalise une traduction du Faust de Goethe en 1827. Il fut également le peintre d’un Paris à la fois populaire et inquiétant et du Valois de son enfance. C’est pourtant l’Orient qui polarisa au cours de sa vie sa quête esthétique et spirituelle : Gérard de Nerval y voyagea de 1842 à 1843. Son itinéraire le conduisit en Grèce, en Égypte, au Liban et en Turquie. Cette expérience (recomposée à partir de celle de voyages antérieurs) fut la matière de plusieurs articles publiés à partir de 1844, lesquels furent réunis dans les deux volumes des Scènes de la vie orientales parus en 1848 et 1850, puis dans le Voyage en Orient en 1851. Peu avant son suicide le 26 janvier 1855, l’écrivain projetait un nouveau séjour en terres d’Orient.
La Bibliothèque nationale de France possède plusieurs manuscrits autographes de Gérard de Nerval : une version primitive d’Aurélia, un projet d’œuvres complètes rédigé à la fin de sa vie et le carnet de notes que l’auteur rédigea lors de son voyage en Égypte en 1843, également appelé Carnet du Caire. Ce document exceptionnel a été mentionné pour la première fois par Aristide Marie en 1926. Son origine est incertaine : il aurait vraisemblablement été transmis par un descendant d’Arsène Houssaye. Peut-être réorganisé a posteriori, cet ensemble incomplet (des pages sont coupées ou déchirées) de 25 feuillets d’une dimension de 14,8x9,5 cm (dont certains sont marqués d’une tache d’huile) est organisé en deux parties : la première (f.1 à 16) contient les impressions de voyage et les notes de lecture de l’auteur, la seconde (f.17 à 25) rassemble ses comptes, organisés par jour et par dépense (tenus du mardi 7 février au samedi 1er avril 1843). Dans le carnet original, elles devaient se trouver respectivement au début et à la fin du cahier, de sorte que Nerval devait retourner le cahier pour procéder à ses comptes. La première page du carnet est illustrée d’une aquarelle qui représente peut-être les rives du Nil ainsi que d’un plan du Caire tracé à la main. Le nombre important d’encres différentes et les variations d’écritures semblent indiquer que le carnet est le résultat de prises de notes effectuées à des moments divers du séjour, peut-être même après celui-ci. Néanmoins l’absence de mentions relatives à la Grèce et au Liban dans le carnet laisse supposer que celui-ci a été initialement rédigé durant le séjour de Gérard de Nerval au Caire en 1843.
La première transcription du début du Carnet a été réalisée par Pierre Martino en 1933 dans un article de la Revue de littérature comparée dans lequel il identifie une grande partie des ouvrages recopiés par Nerval dans le carnet. Ces analyses sont reprises et précisées par Albert Béguin et Jean Richer, puis par Claude Pichois dans leur édition respective du Voyage en Orient au sein des Œuvres complètes de Nerval (Bibliothèque de la Pléiade) en 1961 et 1984. Jacques Huré a réalisé la première transcription de la seconde partie du carnet en 1985 (Cahier Gérard de Nerval, n°8).
L’examen des ouvrages cités ou recopiés par Nerval fait apparaître la grande variété de préoccupations du voyageur : « livres d’histoire d’Égypte, vieilles traductions des chroniqueurs orientaux, récits de voyage, articles de dictionnaires, livres d’exégèse biblique ou de Cabale, vieilles légendes arabes sur Salomon, la reine de Saba, les Préadamites, etc. » (Marie, 1930). Une partie de ces sources religieuses est à l’origine de l’ « Histoire de la reine du Matin et de Soliman, Prince des Génies » insérée dans le Voyage en Orient. Plusieurs pages du carnet regroupant des impressions de voyage en préfigurent également des chapitres de cette relation de voyage
Ces ouvrages furent consultés par Nerval à la bibliothèque de la Société égyptienne (aussi appelée « Association littéraire de l’Egypte »). Cette société fondée en 1842 est constituée d’une centaine de membres ; lors du voyage de Nerval, sa bibliothèque comprend environ 200 volumes offerts par des Anglais et présentés par Prisse d’Avennes. Le fonds issu de cette bibliothèque appartient désormais à la bibliothèque de l’IFAO du Caire. L’analyse des ouvrages consultés par l’auteur lors de son voyage a permis de découvrir l’existence de notes manuscrites qui correspondent à l’écriture de Gérard de Nerval : ainsi, l’exemplaire de L’Égypte de Murtadi conservé par l’institut présente une longue série de références qui correspondent aux notes prises par Nerval dans le Carnet du Caire (f.14 et 15).
Ces deux ensembles peuvent être complétés par un dernier manuscrit autographe conservé à la Bibliothèque de l’Institut de France : une série de notes prises à partir de la Bibliothèque orientale d’Herbelot de Molainville. Cet ouvrage a été consulté par Gérard de Nerval lors de son voyage comme en témoigne le Carnet du Caire (f. 1 et 7) mais un exemplaire a également été emprunté par l’auteur à la Bibliothèque impériale en 1854 comme le signale Huguette Brunet dans un article de 1982 où elle liste ses emprunts à la Bibliothèque royale, nationale puis impériale : la Bibliothèque orientale fut en outre le dernier ouvrage prêté à Gérard de Nerval avant son décès en janvier 1854. Ce fait remarquable illustre la permanence de l’intérêt de cet écrivain pour l’Orient et les sources orientales tout au long de sa vie.