Les grandes collections de guides du voyageur : Murray’s Handbooks for Travellers (Londres), les Baedeker (Leipzig) et les Guides-Joanne (édités par la Librairie Hachette), ancêtres des Guides-Bleus.
Le 11 septembre 1854, selon un journaliste du Siècle : « On ne visite que le pays qu’on a déjà visité ou qu’un autre a déjà visité à votre intention. Un guide est donc le complément forcé du voyageur, comme la boussole est la première condition du marin. » Et durant la seconde moitié du XIXe siècle, trois grandes collections ont dominé le marché européen : les Murray (qui s’appuient sur une clientèle britannique nombreuse et aisée), les Baedeker (avec une offre de titres plus large et une édition en trois langues, allemand, anglais, français) et les Guides-Joanne (qui à partir de 1919 prennent le nom de Guides-Bleus).
Cette aventure éditoriale française remonte à 1855 quand Louis Hachette fait l’acquisition de guides de voyage publiés par Louis Maison et recrute le principal collaborateur de cet éditeur, Adolphe Joanne. Ce dernier est nommé directeur de collection avec pour tâche, la refonte des titres existants (dont la couverture en percaline bleu nuit est reprise) et la publication de nouveaux ouvrages. Parmi les livres rachetés : Guide du voyageur en Orient de Richard et Quétin (1851) et Guide du voyageur à Constantinople et dans ses environs de Blanchard (1855).
Le premier Murray’s Handbook for Travellers consacré au voyage en Orient est Egypt (1847), un classique signé John Gardner Wilkinson, suivi par Turkey (1854), et Syria & Palestine (1858). Dans les années 1870, Baedeker propose des guides similaires, réputés plus pratiques et faciles à utiliser, fournissant une sélection sûre d’hôtels et procédant à l’enrichissement régulier de nombreux itinéraires. Quant aux Guides-Joanne, ils se distinguent pour le nombre de volumes consacrés à l’Orient : une quarantaine de 1861 à 1912, remises à jour et refontes complètes comprises (dont huit rééditions De Paris à Constantinople de Léon Rousset).
Dès sa nomination, Adolphe Joanne fixe le contenu rédactionnel, bannissant toute considération personnelle et prônant la plus grande objectivité. Dans un souci de clarté, il dresse un plan, que reprendra son fils, Paul, qui lui succèdera après son décès, en 1881. Le guide s’ouvre sur des renseignements généraux relatifs au voyage et aux différentes routes d’accès, suivis par une longue introduction intitulée « Généralités », regroupant des informations glanées auprès de spécialistes (remerciés dans la préface) sur la géographie, l’histoire, l’architecture, la langue, le contexte actuel (gouvernement, religions, populations, coutumes, etc). Viennent ensuite les itinéraires, c’est-à-dire le guide proprement dit, avec un choix de sites et d’excursions.
En 1861, paraît Itinéraire descriptif, historique et archéologique de l’Orient d’Adolphe Joanne et d’Émile Isambert. Ce dernier (médecin, chercheur, membre de la Société de géographie) en entreprend une refonte complète sous forme de trilogie : Grèce et Turquie d’Europe (1873), Malte, Égypte, Nubie, Abyssinie, Sinaï (1878) publié deux ans après la mort d’Isambert, sous la direction de son collaborateur, le pasteur Adrien Chauvet, ainsi que Syrie, Palestine (1882). Pour chaque volume, il existe au moins trois éditions publiées tous les dix ans, avec mises à jour des publications, bilan des dernières connaissances et des découvertes archéologiques. Quels que soient les volumes, il ne s’agit pas seulement de manuels du voyageur, mais d’ouvrages de compilation érudite qui peuvent prendre place dans la bibliothèque de sédentaires qui entendent se cultiver (les armchair tourists comme les surnomment les Britanniques).
Les Guides-Joanne consacrés à l’Orient, qui s’adressent à un public lettré et à des voyageurs aisés, sont particulièrement onéreux, 25 F en moyenne (ceux consacrés à l’Europe excédant rarement les 6 F). Ce prix élevé s’explique par le coût de fabrication de cartes et de plans, la taille de certains ouvrages (plus de 1 000 pages pour les deux premiers volumes de la trilogie), ainsi que par les frais de voyage des auteurs (dont le nom cesse d’être mentionné en couverture à la fin des années 1880).
Ces guides ont également un objectif : être utiles. Parcourir la rubrique « Conseils pratiques » nous renseigne sur l’évolution des moyens de transport (maritimes et ferroviaires) et les conditions concrètes du voyage : dépenses, change (qui s’avère souvent un véritable casse-tête), douane et passeport, précautions d’hygiène, hébergement. Des conseils se déclinent aussi sous forme de mises en garde, notamment vis-à-vis du célèbre drogman, concurrent direct, que le Guide-Joanne De Paris à Constantinople n’hésite pas à qualifier de « gênant » et de « répugnant », exhortant le voyageur à sortir au plus vite de « ses griffes ». Plus anecdotiques, mais qui constituent une mine d’informations, les publicités publiées dans un cahier distinct : potions médicamenteuses (pour les maux les plus fréquents en voyage), garde-robe et bagages (dont l’offre pléthorique contredit l’exhortation des guides à voyager léger), hôtels (qui s’efforcent de répondre aux nouvelles normes de confort).