Les musiciens polonais à Paris
Les musiciens d’Europe orientale ont eu très tôt vocation à voyager, particulièrement vers la France. Ce mouvement s’accentue à la fin du XVIIIème siècle, période où de plus en plus de musiciens quittent la Pologne, la Bohême, l’Autriche, l’Allemagne, pour se faire connaître à Paris.
On trouve déjà à Paris avant la Révolution le violoniste Feliks Janiewicz (1762-1848) publié à Paris chez Imbault vers 1793, et dont le Concerto à violon principal n°1 en fa fut joué au Concert Spirituel et à la Loge Olympique ‘(Cinquième Concerto à violon principal…- Paris : Pleyel [circa 1803-1804].) Il fut membre de l’orchestre de la cour de la princesse d’Orléans. Les événements révolutionnaires l’obligèrent à revenir dans son pays natal qu’il quitta à nouveau en 1792 pour s’établir en Grande Bretagne où il décéda en 1848.
François Mirecki (1791-1862), compositeur et pédagogue, arriva à Paris en 1817 afin de se perfectionner dans l’art de la composition. Soutenu par Cherubini, il publia ses compositions pour piano chez Carli. Sa qualité de Polonais figure sur la page de titre des «Etrennes aux Demoiselles…pour le Forte Piano »…par François Mirecki , Polonais.-Paris: Carli, [1820]
Maria Szymanowska (1789-1831), une des premières femmes pianistes virtuoses en Europe, se produisit dans de nombreux pays et se lia d’amitié avec Goethe, Mendelssohn-Bartholdy, Rossini, parmi bien d’autres. Elle publia des compositions à Paris, par exemple une danse polonaise dédiée à Pierre Baillot (1771-1842), violoniste et professeur au Conservatoire de Paris. Sa fille, Céline (1812-1855), épousa à Paris le poète Adam Mickiewicz (1798-1855).
Jozef Elsner (1769-1854), né en Silésie, devint Polonais d’adoption. Pédagogue, il fut le professeur de Frédéric Chopin, son élève le plus illustre, et créa de nombreuses écoles de musique dont l’une deviendra le Conservatoire de Varsovie. Il fut le créateur de l’opéra en Pologne et nommé par Wojciech Boguslawski (1757-1829) «directeur de musique » à l'opéra de Varsovie. Il séjourna à Paris pendant la période du Premier Empire et fit entendre ses œuvres dans des concerts donnés à Saint-Cloud et aux Tuileries ; il illustre la production musicale du début du XIXème siècle à Paris avec « 3 Polonaises à 4 mains…-« Paris:Lentz, [1804-1814] et sa « Messe à trois voix égales…. »- Paris: A. Choron.,s.d. Dans le Journal de musique religieuse. Paris, 1ère année, n° 18, 27 p. [1804-1814, le Grand Quatuor pour le piano-forte,violon, alto et violoncelle….Oeuv.15;- Paris: Lentz [1804-1814].
Après l’échec de l’insurrection contre la Russie de 1830-1831 la « Grande Emigration » polonaise arrive en France. Parmi les exilés on trouve nombre de militaires et de musiciens. Le roi Louis-Philippe ne souhaitant pas voir une armée polonaise se rassembler en France pour repartir au combat contre les Russes, on prit soin de répartir les exilés dans des dépôts militaires de province, où certains deviendront chefs de musique de garnison. D’autres seront facteurs d’instruments, professeurs de musique et même chefs d’orchestre. Antoine Orlowski (1811-1861), ami de Chopin et de Flaubert, fut le chef d’orchestre du théâtre de Rouen dans les années 1835-1837.
A Paris, ces exilés s’installent souvent dans la commune des Batignolles, moins chère que Paris. Frédéric Chopin (1810-1849) est le plus célèbre parmi eux , mais c’est le pianiste et compositeur Albert (Wojciech) Sowinski (1805-1880) qui fera connaître ses compatriotes avec son ouvrage paru en 1857 : » Les musiciens polonais et slaves anciens et modernes. Dictionnaire biographique «. Il fut lui-même un compositeur abondant, dans tous les genres. Certains musiciens polonais furent élèves au Conservatoire de Paris.
Tous vouaient un culte fervent à Chopin et lui dédiaient souvent leurs œuvres, comme Victor Kazynski (1812-1867) qui dédie à Chopin sa Polonaise n° 5 publiée dans « Polkas et mazurkas caractéristiques » (Paris: Richault, 1849-1850).
Edouard Wolff (1816-1880), introduit également dans la société parisienne par Chopin, fut un des compositeurs les plus féconds pour le piano ; ses œuvres portent des titres très proches de celles de Chopin.
Michel Bergson (1820-1898), pianiste et compositeur né à Varsovie, père du philosophe Henri Bergson (1851-1941) après des études de musique à Paris s’installa en Suisse dès 1863, il où il occupa le poste de professeur et ensuite celui de directeur du conservatoire de Genève. Il fut l’auteur d’opéras, d’ opérettes et de compositions pour piano.
Charles Mikuli (1819-1897), pianiste, compositeur, chef d’orchestre et pédagogue, arriva à Paris en 1844. Il fut l’élève et assistant de Chopin, mais il est surtout connu comme son éditeur. Ses éditions des œuvres de Chopin chez F. Kistner à Leipzig et chez Bessel, à Saint-Pétersbourg, font référence. Il affirma tout au long de sa vie être le seul à avoir respecté les doigtés du compositeur.
Beaucoup de compositions de ces musiciens polonais installés à Paris sont dédiées à des professeurs du Conservatoire. Antoine Elwart (1808-1877), professeur d’harmonie au Conservatoire, était né à Paris d’un père polonais et d’une mère française. Louis- Pierre Norblin (1781-1854) violoncelliste, professeur au Conservatoire, était né à Varsovie en 1781. Il vint à Paris en 1798, obtint le premier prix de violoncelle en 1803, enseigna jusqu’en 1846 et fit partie du quatuor dirigé par Pierre Baillot. Les dédicaces à Antoine Marmontel (1816-1898), professeur de piano, et Pierre-Joseph Zimmermann (1785-1853) sont également très nombreuses. Nombre d’artistes étrangers qui ne pouvaient être admis au Conservatoire se faisaient connaître en se produisant dans les concerts privés qu’il organisait chez lui.
Léon Rembielinski, pianiste et compositeur, né en France en 1836 de père polonais, fut élève de Fromental Halévy au Conservatoire. Il eut le premier prix du piano en 1857 et le prix de composition en 1861 « pour contrepoint et fugue ». Il composa de nombreuses mélodies ainsi que des nocturnes, mazurkas et rondos.
Parmi les élèves polonais du Conservatoire les frères Wieniawski se distinguent particulièrement, Le violoniste virtuose Henri Wieniawski (1835-1880), né à Lublin, entra au Conservatoire dès son arrivée à Paris en 1843 où il fut l’élève de Massart . En 1846 il obtint le premier prix de violon et la médaille d’or alors qu’il était âgé seulement de 11 ans. En 1850 il commença une carrière de concertiste avec son frère Jozef (1837-1912), pianiste et compositeur, soulevant un immense enthousiasme. Jozef étudia aussi au Conservatoire en classe de piano sous la direction de Zimmermann et Marmontel, et obtint le premier prix de piano en 1849.
Dans le milieu parisien des musiciens polonais on remarque particulièrement la famille des Kontski. Grégoire de Kontski (1778-1844) musicien amateur, père de cinq enfants, émigre avec sa famille à Paris en 1836 où il noue des liens avec la communauté polonaise. Sa fille était cantatrice et ses quatre fils, Apollinaire, Charles, Stanislas et Antoine étaient tous musiciens. Le plus connu, Antoine de Kontski (1817-1899), pianiste et compositeur, fut naturalisé français et en 1848 devint capitaine de la Garde Nationale. Son « Le Réveil du lion, caprice héroïque pour piano, op. 115, » paru en 1848 à Paris, fut un très large succès européen.
Tous les genres musicaux sont représentés, mais les formes les plus courantes sont les valses, polkas, mazurkas, polonaises, études, nocturnes. Les thèmes sont souvent guerriers. Les grands hommes, les grandes batailles sont évoqués dans les titres et les illustrations de la page de titre. L’inspiration romantique et le talent des artistes qui réalisent ces illustrations pendant la première période romantique jusqu’aux années 1830 conviennent bien à l’exaltation de hauts faits historiques et à l’évocation de personnages célèbres, comme la » Prière dictée à l'armée polonaise ( Paris, Bressler) et le Dialogue sur la tombe du prince Poniatowski de Thomas Praniewicz –( Paris: Bressler, 1831), également , de Michel-Cléophas Oginski., les « Trois Polonaises favorites pour piano ou harpe ». (Paris:Demar, 1814). Ou encore par Apollinaire de Kontski :le « Souvenir de Leopol.Jean Sobieski. Grand Mazur…op.7. » (Paris : Hartmann,s.d.), et « Sobieski. Mazurka…arr. pour le piano « par Edouard Wolff
L’influence de Berlioz est sensible dans la dédicace adressée par Antoine de Kontski au compositeur français sur la page de titre de ses 12 Etudes,(« 12 Etudes pour piano dédiées à Hector Berlioz…,opera 53, En deux Suites » ( Paris: Mme Lemoine, 1841), et dans le titre « Marche de Supplice » de Michel Wodpol, compositeur peu connu, qu’on a dit proche de Chopin.
La religion catholique est très présente, et on trouve dans les œuvres de Sowinski des chants religieux avec paroles polonaises et françaises. Au patriotisme des exilés polonais s’ajoute bientôt un patriotisme envers la France, et on trouve des chants français nationaux de circonstance. Après 1850, on constate une évolution des thèmes : les titres évoquent davantage des légendes polonaises, des ’exils sans retour, mais les récits de guerre se font plus rares. Ladislas Wieniec compose sur un poème de François Coppée sa Chanson d’exil, en 1877, publiée chez Gérard, à Paris, et un Notre Père , avec paroles polonaises publié à Varsovie (Ojcze Nasz [Pater Noster],pour SSATB, orgue ou piano, op.29.- Warszawa: Gebethner i Wolff, 1877), mais dont le département de la Musique possède un exemplaire.
Le pianiste virtuose Henri Kowalski (1841-1916), fils d’un officier polonais émigré en Bretagne après la chute de l’Insurrection de Novembre, naquit à Paris et fut élevé dans le culte de Chopin et de Liszt. Après des études au Conservatoire de Paris il se produisit non seulement partout en Europe mais également en Amérique, en Australie et en Nouvelle Zélande. Les titres de ses compositions font écho de ses multiples voyages et ses impressions d’Amériques sont décrites dans son livre « A travers l’Amérique : impressions d’un musicien »,(Paris, 1872). Il composa Les Cuirassés de Reischoffen, pour piano, op.21.- Paris, A. Leduc, 1871) en souvenir d’une charge héroïque française pendant la guerre de 1870. ainsi que des valses, des études, des nocturnes, etc…
De par leur nombre et leurs activités, les musiciens polonais ont marqué notablement la vie musicale du Paris du XIXe siècle.
Légende de l'image : La polonaise ! Chant national, paroles de M. Guibert Danelle, musique de M.r Antoine Orlowski