Le marronnage en Guyane française (XVIIe-XVIIIe siècle)

Le marronnage, comme moyen d'échapper aux mauvais traitements et à sa condition d’esclave ou de maintenir des liens familiaux ou amicaux, s’inscrit dans un ensemble de formes variées de résistance.

Introduction : « Toute contrainte appelle sa négation » (Y. Debbasch)

En Guyane, comme dans toute l’Amérique des plantations, il est question de petit ou de grand marronnage en fonction de la durée de l’absence et du nombre d’esclaves impliqués. Le terme « marronnage » ou « marron » viendrait de l’espagnol cimarrón qui lui-même proviendrait du vocabulaire des Amérindiens arawak pour désigner les animaux domestiques retournés à l’état sauvage. A partir du milieu du XVI siècle, il sera utilisé pour désigner les esclaves fugitifs. Toutefois, l’historien Jérôme Froger, dans son article intitulé : « Le mot “ marron ” : Au sujet d’une fausse étymologie espagnole », émet une autre hypothèse en proposant (à partir des écrits des spécialistes de l’époque médiévale, notamment Jean-Pierre Poly, et Marcel Lachiver) une autre lecture toute aussi pertinente. Pour lui, c’est plutôt « le vocabulaire des paysans français qui a été transplanté dans le monde colonial », ce mot, serait d’origine germanique puis française et daterait du Moyen-Âge. 

Dans son Essai sur la désertion de l'esclave antillais (1961), Yvan Debbasch soulignait que « toute contrainte appelle sa négation » ; une idée reprise par Gabriel Debien dans la formule : « la notion du marronnage est inhérente à la société esclavagiste ». Comme toutes les colonies de l’Amérique des plantations, la Guyane française n’échappa pas au phénomène de désertion, favorisé par la proximité de la forêt amazonienne. Le marronnage au sein de la Guyane présentait néanmoins une double originalité. Des marrons  de ce territoire se réfugièrent à l’intérieur des terres et dans d’autres colonies, en particulier en terre portugaise (Brésil) mais à l’inverse, ceux des colonies voisines voyaient dans la Guyane une terre d’expérience de la liberté. 

1-Des Marrons des habitations guyanaises en direction de l’intérieur des terres

Dès 1696, le gouverneur de la Guyane, Férolles  (1681-1700), faisait état du marronnage incessant des esclaves . Le phénomène ne cessa de s’amplifier au cours du XVIIIe siècle. On le mentionne à l’est de Cayenne, en amont de la rivière d’Oyac (Roura), dans les premières décennies du XVIIIe siècle. Il s’agit du marron Gabriel vers 1712. On signale la présence de Marrons dans les Montagnes de Kaw, en 1731, et la Montagne de Plomb, entre 1742 et 1767. Ceux de la région de la Montagne de Plomb, en amont de la rivière de Tonnegrande, au sud-ouest de Cayenne, y ont formé une communauté autonome. Conduit au départ par le chef marron Augustin, le groupe grossit par l’apport d’esclaves enlevés d’anciennes habitations, puis en 1748 il se scinda en deux groupes, respectivement sous le commandement d’Augustin et d’André. La même année, le gouverneur Rémy Guillouet d'Orvilliers (1706-1713) décida de les éliminer en envoyant un détachement de troupes et de milices de libres de couleur ainsi que d’Amérindiens de l’Oyapock. Seul Louis, âgé de 15 ans, fut capturé et emmené à Cayenne le 26 octobre 1748. En échange d’une promesse de grâce, Louis livra au Lieutenant criminel de Cayenne, Monsieur Le Tenneur, des informations détaillées sur la communauté marronne de la Montagne de Plomb : organisation communautaire, pratiques culturelles et cultuelles (avec notamment des fêtes liturgiques calquées sur le modèle catholique), activités agricoles (avec la production d’ignames, de bananes, de patates et de maniocs) et piscicoles (patagayes, yayas, brobro, coulans…), mais aussi chasse et élevage. La pratique d’activités artisanales (confection d’arcs et des flèches, filature de coton pour les hamacs…) témoignait de l’acquisition de pratiques amérindiennes. Ces stratégies de survie en milieu forestier démontraient leur capacité d’adaptation et d’inventivité (production de sel à partir des cendres de Maracoupy, élaboration de boissons à base de patates, ignames, bananes, baccovis et diverses graines, outre le vicou et le cachiry). 

A la veille de 1789, on dénombrait une centaine de fugitifs. Les fuites s’amplifièrent,  atteignant jusqu’à 2% de la population servile dans les années 1820 et 1830, du fait des conditions de vie difficiles dans les habitations et des mauvais traitements (châtiments corporels, mutilations) mais surtout du fait des troubles révolutionnaires : suppression de l’esclavage (1794) puis son rétablissement (1802). Les esclaves libérés refusèrent de renouer avec la condition servile. Lorsqu'en décembre 1802, Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul, rétablit l'esclavage, selon l’historien brésilien F. Ciro Cardoso, « deux à trois mille esclaves s’enfoncèrent dans les terres ». Des bandes armées pillèrent les habitations à Roura, Montsinery, Tonnegrande et sur la Comté. L’administrateur colonial Victor Hugues créa alors un corps de chasseurs spécialisé dans la traque aux marrons composé de 200 esclaves  auxquels on avait promis la liberté après huit années de service. En 1803, il prit des arrêtés concernant le rétablissement de l'esclavage, et les relations entre maîtres et esclaves. De nouveaux esclaves furent introduits dans les habitations et les bandes peu à peu réduites. Cependant, le marronnage persista jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848. 

Le marronnage en Guyane française s’est effectué certes vers l’intérieur de la forêt, en amont des fleuves, et non loin du monde de l’habitation (le plus souvent). Il arrivait néanmoins que leur village s’en éloigne. Toutefois, des Marrons s’établissaient aussi en terre brésilienne, dans la région frontalière comprise entre l’Oyapock et l’Ariguari (région Amapâ, au Brésil). Cet espace en marge du monde colonial franco-brésilien et des juridictions coloniales, attirait d’autres types de populations, notamment des marrons « inter-impériaux ». A l’inverse, la colonie de la Guyane française a été une terre d’expérience de liberté pour les marrons du Brésil et de la Guyane hollandaise (Surinam).

2- Incursion de marrons brésiliens et surinamiens en terre guyanaise 

En 1848, après l’abolition française, la Guyane se trouva entre deux territoires où l'esclavage perdurait. Les migrations de fugitifs du Brésil s'accélèrent alors. Les « clandestins » quittèrent très vite les ports pour s'infiltrer dans les habitations où ils étaient accueillis et cachés. En 1851, l'Administration recensait 27 arrivées. En mai 1851, des propriétaires de Macapa s'armèrent pour récupérer les 150 à 200 esclaves enfuis de l’Amapâ à Cayenne. Dès 1851, dans le but de limiter les conséquences des fuites, le gouverneur du Para promulgua une loi d'amnistie, à la condition de rester sur place, ce qui conduisit à l’émergence d’une zone tampon non administrée correspondant au territoire du Contesté franco-brésilien. 

Des révoltes et des fuites massives de la Guyane hollandaise entraînèrent la formation de groupes importants près de la frontière sur le fleuve Maroni. Organisés, indépendants mais pourchassés, certains, les Boni en particulier, s'installent sur la rive française entre 1776 et 1777. François Simon de Mentelle (ingénieur géographe), évoquait déjà, en 1767, dans son récit d’un voyage dans l’intérieur de la Guyane française, l’existence de « nègres fugitifs » de la colonie hollandaise dans la crique « Sibarigni » (Sparuine). 

En dehors de l’expérience éphémère des Marrons de la Montagne de Plomb (1742-1767), le marronnage en Guyane française n’a donc pu donner naissance, en marge des plantations coloniales, à des sociétés pérennes, comparables à celles de la Guyane hollandaise (marrons bushinenge dyuka, saamaka, matawai, kwinti, pamaka, boni-aluku), voire à celles des Macombos et des Quilombos du Brésil, ou encore des Maroons de la Jamaïque (1738-1795).

Publié en décembre 2024