L'occasion manquée du traité franco-syrien de 1936

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Le traité signé en septembre 1936 entre Léon Blum et Hachem al-Atassi aurait pu, s’il avait été ratifié, ouvrir une nouvelle page dans les relations entre la France et la Syrie, enfin alliées sur un pied d’égalité.

La Société des Nations (SDN) a confié en 1920 un mandat à la France sur la Syrie et le Liban. Ce mandat était censé ne représenter qu’une phase transitoire vers l’accession formelle de ces deux États à l’indépendance, comme ce fut le cas dès 1932 pour l’Irak jusque là sous mandat britannique de la SDN. Mais la France au patriotisme revanchard s’était engagée dans cette aventure levantine avec les yeux rivés sur le Liban. Les frères Tharaud pouvaient invoquer en 1923 une « nouvelle croisade » et dédier leur « Chemin de Damas » au général Henri Gouraud, qui gérait la Syrie à partir de Beyrouth. Toutes les attentions françaises étaient réservées au « Grand-Liban », tandis que la Syrie était divisée en cinq entités distinctes. Ce charcutage territorial n’empêcha pas le soulèvement révolutionnaire de 1925-26, écrasé dans le sang à Damas et en pays druze, malgré les protestations de la SDN.

La France avait triomphé militairement, mais le nationalisme syrien demeurait vivace, arborant désormais le drapeau à trois étoiles vertes, symbole de Damas, d’Alep, et de toute autre ville qui rejoindrait la Syrie indépendante (ce même drapeau a été repris en 2011 par les révolutionnaires syriens contre le régime Assad).  Après dix années d’impasse politique, une grève générale poussa la France à accepter enfin, en mars 1936, des négociations en vue d’un traité mettant un terme au mandat. La délégation syrienne était menée à Paris par un « vétéran » nationaliste, Hachem al-Atassi, originaire de Homs, emprisonné en 1930 par les autorités mandataires durant de longs mois. Cependant, seule la victoire du Front populaire aux élections françaises de mai 1936 conféra de la substance aux négociations. Pierre Viénot, secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans le gouvernement Blum, était en effet acquis au principe de l’unité syrienne, contre l’avis du lobby colonial et des administrateurs militaires, prompts à mobiliser leurs clients des différentes « minorités ».

Malgré de telles manœuvres de sape, un « traité d’amitié et d’alliance » fut signé par Blum et Atassi, le 9 septembre 1936, dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay. La Syrie, unie dans toutes ses composantes, s’engageait à une alliance de 25 ans avec la France, qui conserverait ses bases militaires dans le pays durant cinq ans. L’annonce de cette signature fut saluée par d’importantes manifestations à Damas, Homs, Hama ou Alep, aux rues pavoisées des couleurs nationalistes (les « trois étoiles » de l’unité syrienne) et françaises.

En décembre 1936, le Parlement syrien ratifia le traité avec la France et porta Atassi à la présidence de la République. Mais Blum quitta Matignon en juin 1937 sans avoir pu faire ratifier le traité par son propre Parlement. Le lobby colonial et la droite conservatrice menaient en effet une virulente campagne contre le texte. La « Revue des questions coloniales et maritimes » s’opposait ainsi à l’unité syrienne au nom d’un « diviser pour régner » exposé avec une grande candeur : « Ce serait une grave erreur de croire que l’hostilité irréductible des Juifs et des Arabes rend précaire la situation de la Grande-Bretagne en Palestine.  Cet antagonisme fournit au contraire le prétexte désiré pour justifier sa domination et la rendre permanente ».          

Les frères Tharaud reprirent leurs thèmes antinationalistes dans une « Alerte en Syrie », publiée après un séjour sur place à l’été 1937.  Les partisans de la ratification du traité franco-syrien avaient d’autant plus de mal à faire entendre leur voix que la France concluait avec la Turquie, en juillet 1938, un traité d’amitié et le ratifiait, lui, sans délai. Afin d’apaiser Ankara, dans la perspective de la montée des périls en Europe, Paris autorisait le stationnement de troupes turques dans la province syrienne d’Antioche. En juin 1939, la Turquie annexait formellement ce « sandjak d’Alexandrette » sous le nom de « Hatay ». Des dizaines de milliers d’Arabes et d’Arméniens fuyaient la province pour la Syrie.

Atassi, réduit à une totale impuissance, abandonnait la présidence en juillet 1939. Le haut-commissaire français suspendit la Constitution syrienne et décida de dissoudre le Parlement. Deux mois plus tard, l’entrée de la France dans la Deuxième guerre mondiale s’accompagnait de l’imposition de l’état de siège au Levant. L’occasion d’une authentique alliance franco-syrienne avait bel et bien été perdue. Il fallut attendre décembre 1943 pour que la France libre reconnaisse formellement l’indépendance de la Syrie (et du Liban), puis avril 1946 pour que les troupes françaises quittent finalement le pays. Ce retrait s’opéra sous la pression vigilante de la nouvelle Organisation des Nations Unies (ONU), hors de tout traité, et sans garantie donc d’une relation privilégiée avec la France. Dix ans après les espoirs suscités par le traité Blum-Atassi, la conclusion de l’aventure syrienne de la France était bien amère pour les deux parties.

Traités et frontières

Traité franco-syrien de 1936