Religion née en Orient, le judaïsme a suivi le cours de l'histoire du monde et de la Méditerranée depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Sa rencontre avec l'islam a été aussi riche que mouvementée.
Ancré en Orient, le judaïsme entre dans l’histoire au second millénaire avant J.-C. D’après la Genèse c’est dans la vallée du Nil que les Israélites prennent conscience de leur singularité. Libérés de l’esclavage par Moïse ils traversent le Sinaï en direction du pays de Canaan, la Palestine actuelle, une terre promise par Dieu à Abraham. Ils s’y implantent et après maintes tribulations, se dotent d’une monarchie dirigée par la maison de David, d’une capitale, Jérusalem et d’un Temple destiné à devenir le symbole de leur unité religieuse et politique.
Divisés, ils tombent sous le joug de l’Assyrie, puis du roi babylonien Nabuchodonosor qui détruit le Temple et déporte une partie de la population en Mésopotamie. Nouveaux maîtres de la région, les Perses achéménides leur permettent en 540 avant J. C. de retourner en Judée et de reconstruire le Temple. Beaucoup de juifs continueront de vivre cependant en Mésopotamie et en Perse ainsi qu’en Égypte et en Syrie.
Convoitée aussi bien par les Ptolémées d’Egypte que par les Séleucides de Syrie la Judée connaît une brève période d’indépendance politique sous les Hasmonéens qui atteint son apogée sous Hérode le Grand (37-4 avant J.C.). Depuis 43, le pays vivait sous le protectorat de Rome. Ravinée par de profonds clivages sociaux et religieux, la population finit par se soulever en 66. L’insurrection est écrasée, au prix de pertes humaines effroyables. Jérusalem est réduite en cendres et le Second Temple détruit (70). Perdant jusqu’à son nom propre, c’est la déchéance définitive de la Judée, appelée désormais Palestine.
Au contact de la civilisation hellénique puis romaine, le judaïsme connaît plusieurs transformations majeures : en premier lieu , l’émergence d’une nouvelle élite religieuse, les « scribes » ( soferim, sing. sofer) ou rabbins dont la notoriété est fonction de leur érudition ; ensuite, l’apparition de la synagogue en tant que lieu d’étude et de recrutement de la nouvelle élite ; enfin la division de la société en trois grands courants politiques et théologiques – auxquels s’ajoutera ultérieurement le christianisme : les Saducéens, défenseurs de l’ordre établi, les Pharisiens, rigoristes et adeptes d’une vision dynamique du judaïsme basée sur la Torah écrite et la « Loi orale » et les Esséniens qui, établis à Qumran, à l’intérieur des grottes de la Mer Morte rêvent d’une société juive purifiée de toute souillure et s’y préparaient aux temps messianiques .
Se heurtant, après la destruction du Temple, à la hargne farouche de l’Eglise, les juifs se concentrent à partir du VIIème siècle en pays musulmans où ils bénéficient du statut légal de « dhimmi » qui, conformément aux clauses du Pacte d’Omar, leur permet de pratiquer librement leur culte. De fait, à la suite de sa rencontre avec l’islam et grâce à la langue arabe, le judaïsme s’enrichit de nouveaux cadres de référence et de nouveaux concepts juridiques, philosophiques et économiques pour la formulation de contenus spécifiquement juifs. Une effervescence intellectuelle dans laquelle les Karaïtes jouent un rôle de premier plan et appelée à se poursuivre jusqu’au moment où, attaqué de toutes parts, le monde musulman se recroqueville sur lui-même, à partir du XIème siècle, et procède à une application plus rigoureuse des prescriptions discriminatoires contenues dans le Pacte d’Omar.
Au XVIème siècle, l’entrée en scène de l’empire ottoman et la venue au Levant de milliers de juifs et de marranes expulsés d’Espagne et du Portugal redynamisent le judaïsme d’Orient. L’apport des juifs ibériques est particulièrement sensible à Safed en Galilée, devenue le plus grand centre de mystique juive du monde. Une activité qui contribue à l’éclosion du mouvement messianique de Sabbataï Zevi qui au milieu du XVII° siècle se répand comme une traînée de poudre dans toutes les communautés d’Orient et d’Occident. Alertées par les remous que le Messie d’Izmir suscitait autour de lui, les autorités turques le somment de se convertir à l’islam en février 1666. Plusieurs centaines de ses disciples agiront comme lui tout en continuant de pratiquer en secret certains rites juifs. Ce sont les dönme.
Ce dénouement dramatique entraîne sur son sillage découragement et désenchantement. Il laisse de profondes cicatrices dans des communautés depuis longtemps sur le déclin pendant que le centre de gravité du monde juif s’était déplacé inexorablement vers l’Europe occidentale.
Conscients depuis l’expédition de Bonaparte en 1798 en Egypte de l’urgence de réformes, c’est à l’instigation des Puissances que l’empire ottoman publie en 1856 le rescrit impérial du Gulhane proclamant l’égalité entre musulmans et non- musulmans. Une émancipation légale et un interventionnisme européen fortement teintés d’arrières- pensées impérialistes qui attisent les tensions entre chrétiens et musulmans mais aussi entre juifs et chrétiens. Ainsi, lors de l’affaire de Damas en 1840, le consul de France a fortement appuyé les catholiques syriens ayant accusé les juifs d’avoir assassiné un prêtre de leur ville. Une accusation de meurtre rituel appelée à se reproduire au cours des années suivantes dans toutes les agglomérations de l’aire ottomane à forte densité chrétienne malgré les condamnations répétées des autorités musulmanes.
Tirant prétexte de ces informations et de la situation générale affligeante des juifs du Levant, l’Alliance israélite universelle, fondée en 1860 à Paris, décide de leur porter secours en les francisant et en facilitant leur intégration dans la société globale. Elle ouvre à leur intention, en Syrie, en Turquie, en Egypte, en Irak et en Palestine des écoles d’enseignement général et professionnel appelées à jouer un rôle de premier plan dans la formation des nouvelles élites juives des pays musulmans.
Ne représentant nulle part plus de 3% - sauf en Palestine- de la population totale, les juifs du Levant connaissent une forte croissance démographique entre les deux guerres mondiales, due à la lente amélioration des conditions sanitaires et à la baisse de la mortalité infantile mais aussi à l’immigration. Immigration à partir du Maghreb, de la Syrie et d’Italie et de Grèce vers l’Egypte dont la population passe de 5 000 en 1800 à 65 000 en 1947. Immigration surtout en provenance des pays d’Europe centrale et orientale vers la Palestine dont le nombre de juifs passe de 85 000 en 1914 à 136 000 en 1925 puis à 600 000 environ en 1946. Sans grande importance jusqu’à la fin du XVIIIème, la population juive d’Irak s’est accrue considérablement, elle aussi, tout au long du XIX° siècle à la suite de migrations en provenance du Kurdistan, de Perse et d’Aden. C’est d’ailleurs de ces pays ainsi que d’Afghanistan que partent vers 1830 les premières migrations juives vers l’Inde du nord et la Chine.
Sur le plan politique, on assiste à partir de la Première Guerre mondiale à la détérioration des rapports entre juifs et Musulmans du fait de la montée des nationalismes et de l’intensification de l’immigration sioniste en Palestine après la déclaration Balfour en 1917. Une situation sensible même en Irak où pourtant les juifs ont fait montre d’une réelle volonté d’intégration dans la société et la culture arabes, confortée par le mythe savamment entretenu par le roi Faysal (lui-même décédé en 1933) d’un Etat irakien multiconfessionnel. Sérieusement malmené par le massacre des Assyriens, en 1933, ce mythe, devenu un rêve inaccessible sera définitivement enterré après le massacre des juifs de Bagdad, en juin 1941, par l’armée irakienne en déroute devant les troupes du général Wavell.
A cette date, la question palestinienne approchait de l’un de ses points culminants : la création de l’Etat d’Israël et le début des guerres israélo-arabes qui sonnent le glas à la présence juive en terre d’islam.