Récemment redécouvert, le photographe Beniamino Facchinelli (1839-1895) est l’auteur d’un millier de vues sur Le Caire monumental et pittoresque.
Elles tranchent par leur originalité sur la photographie commerciale de ses contemporains, celle de la famille Bonfils ou des Sebah père et fils par exemple.
La plupart sont réalisées à la demande d’amateurs européens engagés dans la défense du patrimoine architectural et urbain du Caire historique. La désagrégation à partir du début du XIXe siècle des fondations pieuses (biens de mainmorte musulmans ou chrétiens) qui assuraient traditionnellement une mission d’entretien, et donc de perpétuation, du bâti historique, d’une part, les projets d’embellissement urbain engagés durant les années 1860, avec leur lot de percées, de badigeonnages, de reconstructions radicales et de constructions nouvelles, de l’autre, avaient conduit à la ruine et à la dilapidation de nombreux édifices anciens. Une campagne de sensibilisation de l’opinion européenne au sort des monuments du Caire est lancée à la fin des années 1870 par un groupe composite d’amateurs, comptant dans ses rangs le polygraphe Arthur-Ali Rhoné, l’architecte Ambroise Baudry, le numismate britannique Edward Thomas Rogers et l’architecte allemand Julius Franz, aux côtés de l’historien égyptien Yacoub Artin et de l’ingénieur-architecte Hussein Fahmy, qui s’était vu confier en 1868 la construction de la mosquée al-Rifai dans un style historiciste. L’alerte aboutit à la création en 1881 du Comité de conservation des monuments de l’art arabe au sein de l’administration des biens de mainmorte (waqf). L’instance est chargée d’inventorier les monuments, de veiller à leur entretien et de surveiller leur restauration. Une liste de plus de 800 édifices est mise sur pied dès 1883 ; une ambitieuse politique de restauration savante des monuments connaît son plein développement dans les décennies suivantes.
Pris pour l’essentiel durant les années 1880, les clichés de Facchinelli livrent un témoignage rare et précieux sur la réalité des monuments avant cette première série de restaurations. Ils documentent au plus près et sans apprêt les ravages causés aux édifices par les ans, les tremblements de terre, la rapacité des collectionneurs et des marchands ou l’incurie des gardiens et des entrepreneurs. Ils illustrent les restaurations en cours de chantier. Ils renseignent également sur la formation des collections du « Musée arabe », institution formée en 1880 pour accueillir, aux fins de conservation, le mobilier et les décors en pierre, bois ou céramique menacés de disparition dans les grands sanctuaires. Entre deux commandes pour tel ou tel amateur, Facchinelli laisse libre cours à son intérêt personnel pour la vie sociale des rues du Caire, le mouvement des femmes et des hommes affairés à leurs activités journalières, la présence des animaux domestiques dans la ville. Bénéficiant de l’intense lumière du Caire et de sa familiarité avec ses venelles, il livre parfois des images proches de l’instantané, et qu’il légende comme telles. Il laisse surgir dans le cadre les passants qui s’agglutinent autour de lui, intrigués par l’opération de prise de vue avec chambre à décentrement, trépied et drap noir. Opérateur des derniers temps de la plaque de verre au gélatino-bromure avant l’arrivée du négatif souple, et féru d’expériences picturales jouant sur les temps d’exposition, les alternances d’ombre et de lumière, le grand angle et les cadrages inattendus, le photographe compose ainsi, possiblement par inadvertance, des vues d’une grande poésie.
Cette documentation capitale sur le patrimoine bâti ancien du Caire fut largement utilisée par Arthur-Ali Rhoné, Julius Franz, Henry Wallis, Max van Berchem, Henri Saladin ou Gaston Migeon, pour leurs publications sur l’architecture islamique, avant de tomber dans l’oubli. Elle se trouve aujourd’hui dispersée entre des bibliothèques françaises, suisses, italiennes, finlandaises ou britanniques, et ne constitue qu’une partie de l’œuvre égyptienne du photographe. Né dans un territoire qui fit partie de l’empire des Habsbourg jusqu’en 1919, engagé dès 1859 au service de l’unité italienne, puis passé comme nombre de partisans au service de l’administration égyptienne au cours des années 1870 (on le sait rattaché à l’état-major de l’armée en 1880), Facchinelli a également laissé des portraits et des reportages journalistiques, dont celui sur le voyage que le prince héritier d’Italie, le futur Victor-Emmanuel III, effectue au Moyen-Orient en 1887. On pouvait également se procurer dans son studio, installé à la lisière de la vieille ville, des vues touristiques d’Égypte.