Joseph-Philibert Girault de Prangey, artiste et érudit, daguerréotypiste de la première heure, accède à la notoriété comme pionnier de la photographie un siècle et demi après son périple en Orient.
Au printemps 1842, Joseph-Philibert Girault de Prangey (1804-1892), érudit et artiste fortuné, passionné d’archéologie et d’architecture arabo-musulmane, après avoir consacré deux ouvrages aux monuments arabes et mauresques d’Espagne et de Sicile, entreprit un voyage en Orient équipé d’un daguerréotype. Dès octobre 1839, Horace Vernet, Frédéric Goupil-Fesquet et Joly de Lotbinière l’avaient précédé, mais aucun de leurs daguerréotypes n’a été conservé. Quant à Gérard de Nerval, parti lui aussi en Orient avec l’équipement complet, il regagna Marseille, en décembre 1843, sans en avoir tiré le moindre parti. Il écrivit d’ailleurs à son père préférer aux daguerréotypes les dessins de ses amis peintres.
Girault de Prangey, s’il partageait ce point de vue, avait pris soin de s’initier au procédé qui nécessitait un réel savoir-faire, a fortiori en voyage. Les plus de 800 daguerréotypes qu’il rapporta de son voyage (plaques uniques, non reproductibles, extrêmement fragiles) constituent des documents visuels exceptionnels, d’autant qu’ils permettent de découvrir de nombreux sites transformés, voire détruits par la suite.
Après un séjour à Rome, à la villa Médicis, Girault de Prangey s’était rendu en Grèce, puis au Caire et à Alexandrie. Il gagna ensuite Constantinople et parcouru les sites archéologiques d’Asie mineure, « s’écartant le plus souvent possible des routes d’ordinaire suivies ». Il poursuivit son périple, qui dura trois ans, en visitant la Terre sainte, Baalbek, Damas et Alep.
Pour Girault de Prangey, le daguerréotype n’était qu’un outil au service de sa pratique du dessin, précieux dans la mesure où il permettait d’obtenir une reproduction fidèle de monuments et de détails architecturaux. Il prit soin de classer ses innombrables clichés, inscrivant au dos la date et le lieu de la prise de vue, mais n’a jamais envisagé les exposer. De même, quand il publia Monuments arabes d’Égypte, de Syrie et d’Asie Mineure, puis Monuments et paysages de l’Orient, il ne signala à aucun moment que ses lithographies avaient été réalisées à partir de ses prises de vue.
En 1846, l’ensemble de ses écrits lui valurent d’être élu membre et correspondant du Royal Institute of British Architect. Toutefois, l’échec commercial et éditorial de ses deux derniers ouvrages, coûteux et publiés à compte d’auteur, mit un terme à ses lointains voyages et à ses travaux sur l’architecture. Il se retira dans sa propriété des Tuaires, en Haute-Marne, continuant à pratiquer le daguerréotype jusqu’aux années 1850, comme en attestent des vues réalisées en Suisse et dans sa splendide demeure de style oriental. Il consacra le reste de sa vie à la culture en serre de fleurs et de fruits exotiques, passant volontiers pour un excentrique et un misanthrope taciturne.
Près de trois décennies après sa mort, le comte Charles de Simony fit l’acquisition de cette villa à l’abandon et découvrit dans une soupente des boîtes contenant les daguerréotypes de son ancien propriétaire. Ironie du sort, plus de cent cinquante ans après son périple méditerranéen et oriental, Girault de Prangey, qui avait revendiqué le dessin comme le véritable aboutissement de son art, accède à la notoriété comme pionnier de la photographie. Les publications, les expositions, les ventes aux enchères (qui peuvent atteindre des sommes record) se sont succédé ces quinze dernières années. On admire la justesse et l’audace de ses cadrages, ses vues dépouillées, composées avec force et simplicité.
Autoportrait présumé par Joseph-Philibert Girault de Prangey. 1840