Ces documents sont l’œuvre d’un piètre amateur qui ne maîtrise guère la technique de prise de vue mais ne s’en préoccupe pas puisqu’ils sont réservés à un usage privé sans intention de publication ou d’exposition.
Albert Goupil est le fils cadet du grand marchand d’estampes, de tableaux et de reproductions photographiques de tableaux Adolphe Goupil (1806-1893). Il est associé à la direction de Goupil & Cie de 1872 à sa mort précoce en 1884. Malgré son rang important dans la société, il devient en effet commanditaire en 1884 de Boussod, Valadon & Cie qui succède alors à Goupil & Cie, il n’occupe pas de fonction précise. La fortune familiale lui permet de s’adonner à son goût pour les collections d’art. Un premier voyage en Italie en 1858 en compagnie du peintre Charles François Jalabert marque le début de sa collection d’œuvres de la Renaissance. Mais c’est le second voyage en 1868 avec son beau-frère Jean Léon Gérôme qui a épousé sa sœur Marie en 1863, qui suscite son goût pour les objets d’art moyen-orientaux alors encore relativement peu appréciés des grands collectionneurs européens.
Ce voyage en Orient, le troisième de Gérôme, réunit sept peintres et Albert Goupil qui joue le rôle de photographe. L’itinéraire de cinq mois les mène d’Alexandrie à Beyrouth par le Sinaï, Pétra, Jérusalem, la mer Morte et Damas, est très bien documenté. On dispose des notes de Gérôme, du journal de voyage de Famars Testas, du livre de Paul Lenoir et de multiples études et croquis réalisés en route. Les photographies réalisées par Albert Goupil étaient mentionnées par ses compagnons de voyage mais ce n’est qu’en 1996 qu’un album composé de soixante-dix-neuf tirages a pu être acquis par le département des Estampes et de la Photographie de la BnF. Il est dédicacé à l’un des peintres, Ernest Journault. Il est vraisemblable que Goupil ait offert un semblable album à chacun des membres de l’expédition et peut-être un volume plus complet à son beau-frère Gérôme.
Voyage en Égypte, au Sinaï, en Jordanie et en Palestine. A. Goupil, 1868.
Ces documents sont l’œuvre d’un piètre amateur qui ne maîtrise guère la technique de prise de vue mais ne s’en préoccupe pas puisqu’ils sont réservés à un usage privé sans intention de publication ou d’exposition. Les coulures et les zébrures qui apparaissent sur de nombreux tirages attestent des difficultés rencontrées par Goupil dans l’utilisation des négatifs sur verre au collodion. D’autres tirages ont des tonalités trop sombres, des ciels de plomb dus à la forte luminosité. Les groupes sont mal cadrés, souvent pris de trop loin. Pourtant, malgré tout ce que l’on pourrait critiquer techniquement dans ce corpus d’images, l’ensemble demeure un témoignage précieux. Intimes, prises sur le vif, ces photographies sont rares. Elles montrent un Orient vu par un groupe d’artistes sans préoccupation de pittoresque facile, sans souci de collecte archéologique, sans but de compilation savante. Cette fraîcheur accentuée par la maladresse de certaines prises de vue transparaît dans les épreuves. Certaines nous en apprennent beaucoup sur ces voyages de peintres et sur leur recours à la photographie. Par exemple le 15 février au Caire, Famars Testas fait venir un jeune modèle, Fatma, pour lui-même, Goupil et Journault (les autres étant partis se promener) : « Nous avons fait une étude et Goupil une photographie ». On trouve surtout dans cet album des paysages, le Sinaï, le couvent de Sainte Catherine, Pétra, l’escorte arabe des voyageurs, des groupes, le campement des voyageurs, la Mer Morte, l’ensemble correspondant exactement aux aquarelles et dessins amassés par Bonnat et Gérôme. La vue de Medinet-el-Fayoum de Goupil a servi plus tard à un tableau de Gérôme élaboré à Paris en 1870 Femmes fellahs puisant de l’eau. Gérôme qui disposait donc de cette photographie lui a emprunté tout le décor de l’arrière-plan : maisons, groupe de palmiers et d’arbres et en a fait une scène de genre par l’ajout des femmes au bord de l’eau.
A son retour à Paris Albert Goupil commence à organiser une collection d’objets orientaux dans son appartement du 9 rue Chaptal, non loin de l’atelier de son beau-frère Gérôme qui résidait rue de Bruxelles dans le quartier de la Nouvelle Athènes. Membre du comité directeur du musée des Arts décoratifs, Goupil participe en 1880 au réaménagement de la salle orientale. Jusqu’à sa mort il encourage les expositions permettant de faire connaître au public les arts du Moyen-Orient.