Pendant près de dix siècles, avant la présence et l’intervention des Français, l’idéologie, les croyances et les religions vietnamiennes s’exprimaient avec deux types d’écriture : le hán et le nôm. Ces documents étaient communiqués au public sous forme manuscrite ou comme des gravures sur bois.
Les documents idéologiques et religieux (relevant du confucianisme, du bouddhisme, du taoïsme) étaient souvent présentés sous forme de sutras, de compilations, de recueils de poésie, de prose et des récits descriptifs. En ce qui concerne des croyances en particulier, les informations sont enregistrées dans les récits descriptifs et les recueils de poésie et de prose.
Du point de vue bibliographique, cet ensemble de documentation présente certaines caractéristiques principales. Les sutras et compilations sont transmis de génération en génération grâce aux inscriptions, ainsi les sutras bouddhistes, les livres de Confucius, Mencius et des grands lettrés confucianistes, ou de Lao Tseu, Zhuang Zi pour le taoïsme. Une autre catégorie de textes présente les interprétations des sutras ou des canons des trois enseignements. Enfin, les croyances, la pratique qui en découle sont notées dans les récits descriptifs les recueils de poésie et de prose. Ce n’est que sous cette troisième forme de textes que les croyances populaires sont décrites.
Pendant la période coloniale, certaines caractéristiques des documents sur les pensées, les religions et les croyances vietnamiennes perdurent, certains d’autres se modifient par rapport à la période précédente. Quatre écritures - le hán, le nôm, le quốc ngữ et le français – sont utilisées simultanément. Les documents sont rendus publics sous forme de manuscrit, de gravures sur bois, et d’imprimés au modèle occidental, et paraissent dans les journaux ou en volumes.
Au fil du temps, les documents imprimés et écrits en quốc ngữ occupent une place majeure.
Il faut noter que, dans la pratique vietnamienne, les concepts de « pensée », « religion », « croyance » ne sont pas clairement distincts, ils se mélangent en particulier dans les documents sur la pratique spirituelle. Par exemple, le confucianisme est une philosophie mais il est parfois considéré comme une religion. De même, le bouddhisme constitue à la fois un système idéologique et une pratique religieuse. Et dans une certaine mesure, les idées et religions ci-dessus participent comme autant d’éléments constitutifs à la vie religieuse locale.
En termes de contenu, les documents sur les idées, les religions et les croyances à l’époque coloniale se situent par rapport à deux horizons : l’Orient et l’Occident. Ils présentent plus précisément les interprétations, les débats des idées et des croyances orientales (y compris les croyances populaires) et introduisent des idées et religions occidentales.
Voici un résumé essentiel de chaque domaine documentaire de l’époque coloniale française :
- Les documents sur le bouddhisme comprennent trois sources : des documents en idéogrammes, en français et en quốc ngữ. Ces sources montrent que la traduction en quốc ngữ pour la vulgarisation des sutras et pour la popularisation des enseignements bouddhistes est dominante. Par ailleurs, ces documents fournissent également des informations sur l’interprétation, la réception des sutras bouddhistes et la pratique religieuse. On voit ainsi clairement le conflit idéologique, religieux et culturel très présent à l’époque (entre l’ancien et le nouveau, entre l’Orient et l’Occident, entre le patriotisme et le colonialisme).
- Au cours de la période 1920-1945, dans les trois régions, paraissent de nombreuses publications (en volumes ou en articles) sur le confucianisme, principalement sous forme de quốc ngữ. Ces sources abordent les sujets suivants : l’interprétation des écritures confucéennes, les essais sur le confucianisme, les études sur les personnalités du confucianisme chinois (Confucius, Mencius, ...), le débat sur la pensée confucéenne.
- Par rapport au bouddhisme et au confucianisme, l’influence du taoïsme au Vietnam est modeste. Cette situation n’a pas changé durant la période coloniale. Les documents sur le taoïsme rédigés en français et en quốc ngữ occupent une place majoritaire. Les textes taoïstes sont apparus principalement pendant la période de 1920 à 1945, en Cochinchine et au Tonkin (essentiellement à Hanoi). En termes de contenu, les textes (principalement imprimés), y compris la traduction des études sur le taoïsme, se présentent sous différents genres : introduction des textes classiques ; interprétation et diffusion des textes, des idées. En outre, pendant cette période, sont également publiés des récits ou des compositions littéraires sur des personnages taoïstes.
- Les documents sur le catholicisme au Vietnam s’étendent du XVIIIe jusqu’au XIXe siècle, parmi lesquels les livres de mission en hán et en nôm sont bien nombreux. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les documents sur le catholicisme sont publiés sous forme de volumes et d’articles dans les journaux (notamment dans le journal Vì Chúa). Cette documentation religieuse couvre les sujets suivants : diffusion des livres canoniques, histoire du catholicisme, description des pratiques ou activités religieuses dans les églises locales, présentation des opinions pour ou contre le catholicisme.
- Le caodaïsme est une nouvelle religion locale propre aux Vietnamiens. Né sur la la base d’une combinaison d’idées et de croyances (principalement bouddhisme, confucianisme et taoïsme) pour exprimer l’esprit d’innovation et l’identité nationale, le caodaïsme dispose d’une grande quantité de documents en français et en quốc ngữ, parmi lesquels ceux en quốc ngữ occupent une place importante. Les documents sur le caodaïsme peuvent être divisés en plusieurs groupes :
- Documents sur les temples, et documents relatifs à l’histoire de la formation et des activités du caodaïsme et des croyants.
- Les documents administratifs de la religion.
- Documentation sur l’enseignement de la doctrine, ou documents qui expliquent le syncrétisme du caodaïsme.
- Ensemble des documents réservés aux femmes et à la vie conjugale.
De manière générale, les documents sur le caodaïsme datant d’avant 1945 au Vietnam fournissent des informations sur trois aspects de la religion, la foi, la pratique rituelle et les officiants rituels.
- Les documents sur les croyances populaires sont principalement écrits en quốc ngữ et en français et ceux en quốc ngữ sont majoritaires. Les publications dans la première moitié du XXe siècle fournissent des informations sur les formes de croyances traditionnelles vietnamiennes telles que le culte du ciel et de la terre, le culte des trois/quatre palais (culte prônant la nature), le culte des ancêtres (y compris le roi Hùng Vương), culte des génies tutélaires des villages, culte des déesses mères, culte des créateurs des métiers, culte des dieux, etc.
Outre les informations qu’ils contiennent, ces documents révèlent directement ou indirectement les opinions politiques, pro-colonialistes ou anti-colonialistes, des auteurs vietnamiens.
De plus, selon la politique culturelle du gouvernement colonial puis en raison de la conscience des intellectuels indochinois, la pensée occidentale s’est introduite au Vietnam à travers la lecture. Il s’agit d’abord d’articles des journaux, puis de volumes indépendants. L’écriture utilisée est le quốc ngữ mis au service des lecteurs vietnamiens. En termes chronologiques et géographiques, les documents sont principalement publiés du début du XXe siècle à 1945, et principalement dans deux grandes villes, Saigon et Hanoi. Essentiellement introductifs, ils présentent la philosophie occidentale de l’antiquité (Aristote) à l’époque moderne (Kant, Nietzsche, Henri Bergson, Descartes, Einstein, Auguste Comte, etc.). En particulier, certains personnages représentatifs des classes cultivées ont fondé leur propre structure éditioriale, comme Nguyễn Văn Vĩnh créateur d’un comité intitulé Âu Tây tư tưởng en 1919 puis d’une bibliothèque portant le même nom en 1927, Phạm Quỳnh fondateur de la revue Nam phong, le groupe Thanh Nghị. Enfin Nguyễn Đình Thi a publié des précis philosophiques pendant les années 1940.
Publié en février 2021