Bordant une voie maritime d’importance mondiale, lieu de rencontre des cultures d’Inde et de Chine, la péninsule indochinoise invite à des circulations de toutes sortes : approches des côtes, explorations et découvertes de l’intérieur, échanges entre pays.
À visées religieuses, commerciales, ou stratégiques, elles frayent la voie aux hommes, aux marchandises, aux savoirs et aux pouvoirs.
Portugais, Hollandais et Anglais établissent les premières relations commerciales dès le XVIe siècle. Des missionnaires jésuites débarquent en Cochinchine et au Tonkin à partir de 1615, puis plus tard les Missions étrangères de Paris. Alexandre de Rhodes arrive à Hội An (Faïfo) en 1624, et organise l’évangélisation catholique, première implantation européenne dans la péninsule.
La Compagnie des Indes orientales, née en 1664, s’intéresse à Đà Nẵng (Tourane) et Hội An. Les différends entre le Sud et le Nord tournent à la guerre civile. Pigneau de Béhaine, évèque d’Adran, y joue un rôle déterminant qui débouche en 1787 sur un traité (jamais appliqué) entre Louis XVI et le futur empereur Gia Long. Son successeur Tự Đức persécute les chrétiens et fournit un prétexte à l’intervention franco-espagnole de 1858.
Plusieurs étapes jalonnent l’installation de la France et la constitution de l’Indochine française. Entre 1858 et 1867, la conquête de la Cochinchine précède le protectorat du Cambodge, et s’étend de 1873 à 1897 à l’Annam et au Tonkin, visant un accès vers la Chine du Sud. En 1887, l’Union Indochinoise regroupe Cochinchine, Cambodge, Annam et Tonkin, en 1893 le Laos, et en 1907 deux provinces restituées par le Siam.
Les cartes présentées ici sont éclairées par leur contexte historique. Exemple : Jean Somer signe une carte Royaume d’Annam, datée du XVIIe, / élaborée par les Pères de la Compagnie de Jésus, « comprenant les Royaumes de Tumkin et de la Cocinchine », avec le « Royaume du Cambodge », et « Les Laos qui font un grand Royaume », ainsi que du « Royaume du Ciampa ». Y figurent « les Kemoys, peuple barbare habitant dans les montagnes », jadis appelés Moïs. Elle témoigne de connaissances détaillées issues d’une longue présence religieuse.
De même, la carte publiée en 1838 à Calcutta, légendée en annamite, latin, français et anglais, est l’œuvre de Jean-Louis Taberd, « lexicographe, vicaire apostolique de Cochinchine, prêtre des Missions étrangères de Paris ».
Une Carte du Golfe du Siam de 1664, par Joan Blaeu, « imprimeur du Roi de Suède », et « cartographe de la Compagnie des Indes Orientales » est destinée à la navigation, et restitue la côte, comme le Pilote de Cochinchine, (1791- 1807) signé Rosli Mesros, cartographe, et Jean Marie d’Ayot, commandant de la Marine annamite, « ancien officier français, mandarin à la cour de Cochinchine ».
L’œuvre de ces cartographes est ensuite prolongée par des ingénieurs hydrographes de la Marine. La Notice sur les cartes de l’Indochine française […] parue en 1890, signée Bauchet, « Capitaine d’Artillerie, chef du Bureau topographique des Troupes de l’Indochine », signale les progrès d’une cartographie de plus en plus scientifique.
Avec le temps les cartes, désormais imprimées, s’étendent à l’intérieur du pays, deviennent des cartes routières, ou urbaines, des « annuaires » des villes ou des régions. Avec leurs annonces publicitaires, elles signalent la naissance du tourisme. En 1917 paraît un Guide du Lang Bian, en 1924 puis en 1929 des guides touristiques orientés vers l’automobile, voire l’hydravion (pour amerrir dans les douves d’Angkor Wat…). Notons les albums de photos, comme celui du premier photographe de l’Indochine, Gsell.
Géographes, explorateurs, fonctionnaires en mission, voyageurs, essayistes participent d’une évolution qui voit les géographes de cabinet laisser place aux hommes de terrain. Les auteurs de Géographies universelles (Histoire et descriptions de tous les peuples), comme Dubois de Jansigny, orientaliste et diplomate, ou Malte-Brun (inventeur en 1813 du « nom nouveau mais clair, expressif et sonore d’Indo-Chine ») collectent des informations dans les récits de voyage ou d’exploration. Plus tard, en 1878 Eliacin Luro, « lieutenant de vaisseau et inspecteur des affaires indigènes en Cochinchine », publie Le Pays d’Annam, étude sur l‘organisation politique et sociale des Annamites. Il justifie ses observations détaillées : « il ne suffit pas de conquérir un pays, il faut encore si on veut y établir une domination sur des bases solides étudier la nouvelle conquête à tous les points de vue ». Aurillac écrit en 1870 un ouvrage quasi ethnographique sur les Annamites, les Cambodgiens, les Moïs.
Témoignages, approche du littéraire constituent une autre catégorie, avec une Anthologie franco-indochinoise (regroupant Pouvourville, Bonnetain, Bourde) en 1927, un témoignage un peu chargé sur « Métis et Congaïes » en 1928, un roman exotique de 1884 La Fille du Dragon Rouge, à travers l’Empire annamite (« déloyauté des Anglais, rapacité des Chinois, fierté des Sauvages Moïs »), un Au pays du mystère en 1923 (le Tonkin , triste pays […]), et enfin les souvenir de l’aventureux Père Bénigne, survivant à Vingt ans en Annam , en 1884.
La captivante diversité de ces documents est leur richesse, elle augmente la connaissance de ces terrains nouveaux pour les Européens, sans pour autant dissiper toutes les représentations illusoires.
Publié en février 2021