En effet, le sikhisme est une religion originale, la plus récente de toutes celles nées en Inde, après l’hindouisme, le bouddhisme et le jaïnisme. Elle est souvent perçue à tort comme un syncrétisme entre l’hindouisme et l’islam. En réalité, elle ne fait que quelques emprunts au vocabulaire de l’islam indien et à l’organisation des sanctuaires de saints musulmans locaux.
L’enseignement initié par Nānak s’apparente à celui de religieux itinérants (Sant) et de poètes mystiques dans le contexte des mouvements hindous de dévotion directe au Divin (bhakti) développés depuis l’époque médiévale à partir du sud de l’Inde. Les Sant, tel Kabir (vers 1440-1518), adorent un Dieu suprême, non manifesté dans le monde des hommes, selon la « Tradition du [Dieu] sans-attributs » (Nirguṇa Saṃpradāya). Ils ont pour seul rituel le chant de louanges à ce Divin unique. Parmi de nombreux mystiques errants, Nānak élabore l’expression la plus aboutie de cette doctrine des Sant envers un Divin considéré à la fois comme le Bien-Aimé et l’Amour lui-même. Selon Nānak, Dieu est omniprésent, à la fois extérieur et intérieur à l’homme. Il peut lui manifester Sa grâce en faisant entendre au cœur de l’homme Sa voix. Ce Mot (Sabadu) donne un Ordre divin (Hukamu), à la fois injonction au salut et principe d’harmonie universelle. Bien que l’homme ait conscience de la nécessité de ce salut, il se trouve pris dans des attachements et des illusions. Ceci l’amène à être sourd à ce murmure divin et à se perdre dans des pratiques excessives telles la quête de faux maîtres, le yoga ou l’ascétisme. Pour percevoir ce message divin, Nānak invite l’homme à purifier son être entier (manu : esprit, corps et âme) par une discipline de remémoration (simaraṇa) et de répétition (japu) du Nom divin dans un état d’esprit d’amour. Ainsi cette méditation élève peu à peu l’homme à travers cinq royaumes mystiques. Au dernier, celui de la Vérité, le manu se fond alors en Dieu dans une suprême béatitude.
Nānak baigne dans l’atmosphère spirituelle de la bhakti hindoue de son temps et en reconnaît certains principes liés à la transmigration de l’âme (saṃsāra). Cependant, il crée des ruptures en rejetant le système des castes comme moyen d’accès à la libération. Il recommande des repas pris en commun, assis au même niveau, pour marquer l’égalité de tous dans la quête spirituelle. Au lieu de choisir sa langue locale, le pendjabi, pour toucher ses disciples (sikh, un terme qui vient du sanskrit śiṣya), il s’exprime en langue des Sant (Sant bhāṣā) pour donner une portée plus vaste à son enseignement. Cela indique sa conscience de léguer aux temps futurs une nouvelle spiritualité destinée à grandir. Cependant, au contraire des Sant, il désigne son successeur. Il ouvre la voie à une lignée orthodoxe de neuf autres Gurūs se transmettant une même flamme spirituelle jusqu’au dixième, Gobind Singh (1666-1708).
Les controverses de successions font apparaître de nombreuses branches hétérodoxes parmi les communautés sikhes (Panth ou « Voie ») dont certaines disparaissent avec le temps.
Gurū Gobind Singh poursuit la construction d’une identité religieuse distincte en instituant en 1699 une nouvelle fraternité égalitaire, le Khālsā. Les initiés portent cinq symboles nommés les « cinq k » : cheveux (kes), barbe et poils non coupés, port d’un peigne (kaṅghā), d’une épée ou dague (kirpān), d’un bracelet de métal (kaṛā) et d’une large culotte courte (kacch). Les hommes ajoutent à leur nom, Singh (« Lion ») ; les femmes, Kaur (« Princesse »). Ils suivent un code de conduite excluant le tabac, la viande abattue à la façon musulmane et l’union avec des musulmanes. Ces règles témoignent d’un antagonisme croissant – cristallisé seulement au cours du XVIIIe siècle – entre sikhs et musulmans, depuis les martyrs de Gurū Arjan, Gurū Teg Bahādur et des quatre fils de Gurū Gobind Singh, condamnés à mort par les Moghols. À sa mort, le dixième Gurū transmet son autorité dans l’Ādi Granth, alors renommé Gurū Granth Sāhib, et l’assemblée du Khālsā, Gurū Panth. Sous le règne de Ranjit Singh (1780-1839), roi du royaume du Grand Panjab centré sur Lahore, le Gurū Panth est définitivement abandonné.
L’Ādi Granth est le « Livre Premier » sacré des sikhs. Il semblerait, d’après des peintures du XVIIe siècle, que Gurū Nānak avait déjà réuni de son vivant des textes. Le troisième Gurū, Amar Dās (1479-1574), compila une anthologie initiale de poèmes de ses prédécesseurs auxquels il ajouta les siens ainsi que ceux de mystiques Sant et soufis de leurs temps, dont Kabir. Le cinquième Gurū, Arjan (1563-1606), acheva l’ouvrage en 1603-1604. Gurū Gobind Singh y ajouta enfin les hymnes de son père, le neuvième Gurū, Teg Bahādur (1622-1675). L’édition classique de l’Ādi Granth comprend mille quatre cent trente pages de louanges au Divin, classées selon des modes musicaux (rāgu). Elle est notée en écriture gurmukhī (« qui sort de la bouche du Gurū ») dont l’invention est associée au deuxième Gurū, Aṅgad (1504-1552). Les écoles minoritaires du Panth en ont des versions différentes. L’Ādi Granth est vénéré au centre des temples sikhs appelés « Porte du Gurū » (gurdvārā). Des extraits sont dans les livres de prières quotidiennes, Panj Granthi au XIXe siècle et aujourd’hui Nit Nem.
Alors que l’Ādi Granth forme un concert musical harmonieux, le deuxième livre sacré, le populaire Dasam Granth (« Livre du Dixième »), offre un ensemble plus composite de poèmes attribués à Gurū Gobind Singh, d’hymnes à connotations plus hindoues et de légendes. Ce caractère hétéroclite de l’ouvrage, écrit en braj et terminé vers 1738, crée des controverses parmi les intellectuels sikhs à partir de la fin du XIXe siècle.
Les sikhs sont actuellement estimés à un peu moins de 2 % de la population indienne, majoritairement établis au Pendjab, région de naissance des dix Gurūs, aujourd’hui divisée entre l’Inde et le Pakistan. Leur diaspora à travers le monde est importante.
Publié en décembre 2024