Charles d'Ochoa et son réseau indien

Charles d’Ochoa (1816-1846) effectua une mission au Maharashtra en 1843-1844 financée par le ministère de l’Instruction publique. Il collecta plus de trois cents ouvrages à la fois manuscrits, lithographiés et imprimés, dans les différentes langues en usage en Inde centrale, sanskrit, persan, arabe, marathi, gujarati, hindi, ourdou, pashto, sindhi. Cette collection est le fruit d’échanges constants avec les savants indiens avec qui il travailla étroitement.

Biographie

Fruit d’une union illégitime, Pierre Charles Olloba d’Ochoa naquit à Bayonne le 26 février 1816. Sa mère, Julie Belles, était issue d’un milieu de négociants, métier vers lequel le jeune homme se destinait. À Bordeaux, la famille Galos, députés de la Gironde, assura son tutorat pendant ses études. Il fit un premier voyage commercial vers l’Inde pour le compte d’une maison d’armement en 1835-1836. Son journal, conservé à la Bibliothèque Mazarine, donne peu d’éléments sur son séjour en Asie du Sud, sinon quelques anecdotes concernant son escale à Sri Lanka. En 1840, il monta à Paris pour suivre les cours d’hindoustani de Garcin de Tassy à l’École spéciale des langues orientales. Il y rencontra le docteur Godefroy Robert avec qui il envisagea de mener une mission scientifique en Inde. Chargé du volet géographique et ethnographique, Robert prit la mer à Bordeaux et rejoignit Bombay par le Cap de Bonne Espérance et les îles françaises de l’Océan Indien. Ochoa partit de Marseille pour rejoindre Bombay via Port-Saïd, Suez et la mer Rouge, avant la construction du canal achevée en 1869. Depuis Bombay, Robert partit vers le Nord, tomba malade et se perdit dans une longue mission infructueuse. Chargé du volet littéraire de la mission, Ochoa organisa de son côté une collecte de manuscrits à travers le Maharashtra, depuis Nasik et Aurangabad au Nord, jusqu’à Bijapur au sud, dans l’actuel Karnataka. Il s’attarda particulièrement à Pune et à Pandharpur, centre d’une intense tradition de poésie dévotionnelle en marathi. Tombé malade, il fut contraint de revenir en France à l’automne 1844. Il meurt le 2 juin 1846 à l’âge de trente ans, sans avoir pu faire fructifier les résultats de sa mission.

Collection

Les ouvrages collectés par Charles d’Ochoa furent transmis par le ministère de l’Instruction publique à la Bibliothèque nationale en janvier 1847. Ils furent catalogués sommairement par Eugène Burnouf et Joseph Toussaint Reinaud dans un article du Journal asiatique, afin de faire connaître cette collection au monde savant. Constitué de plus de trois cents ouvrages, ce fonds multilingue offre la fidèle image d’une Inde multiculturelle. Féru de poésie et de religion, Charles d’Ochoa concentra ses efforts sur la poésie dévotionnelle en langues vernaculaires, particulièrement en marathi et en hindi. Il travailla étroitement avec les pandits du Sanskrit College de Pune et fit de Viṣṇuśāstrī Bāpaṭa, l’un des supérieurs de cette université, son principal intermédiaire. À Pandharpur, il se lia d’amitié avec Garuḍadhvaja, un ascète vishnouïte, qui composa un poème en son honneur. À Bijapur, Ochoa tomba sous le charme de l’architecture indo-persane, comme le montre son journal conservé à la Bibliothèque Mazarine. Il classa la bibliothèque du palais et acquit un certain nombre de manuscrits arabes et persans.

L’objectif principal de la mission d’Ochoa était la collecte de matériaux nécessaires à la rédaction d’une histoire des littératures de l’Inde. Cette trop vaste entreprise ne vit pas le jour, mais sa collecte est le précieux témoignage des efforts consentis dans les conditions précaires qui étaient les siennes. Les poèmes dévotionnels en marathi qu’il a collectés en fil de son séjour sont les premiers à entrer dans les bibliothèques européennes. Ils sont notamment rassemblés dans trois volumes copiés à Pune et Pandharpur. Le premier volume (Indien 680) contient déjà un texte de Muktābāī, poétesse du 13e siècle qui a contribué à fonder la littérature marathi. Le deuxième volume (Indien 681) regroupe l’essentiel des poètes importants de la littérature prémoderne. Le troisième (Indien 682) complète cet ensemble, en donnant une importance particulière au poète Tukārām, auteur au 17e siècle d’une abondante poésie dévotionnelle. Les œuvres de ce dernier figurent également dans un manuscrit de la fin du 18e siècle, une sorte de carnet de pèlerin en usage chez les Vārakārī qui cheminent tout au long de l’année, encore aujourd’hui, vers le sanctuaire du dieu Viṭhṭhala à Pandharpur. Intéressé par les traditions religieuses non brahmaniques, Charles d’Ochoa collecta également des textes jaina. Il fit copier le Kalpasūtra, texte principal des jaina śvetāmbara, et acquit des copies anciennes d’autres textes canoniques, comme les Nāyādhammakahāo d’une qualité remarquable. Le sikhisme fut également l’objet d’une attention particulière. Il acquit deux volumes de Pañj Granthī regroupant des textes tirés de l’Ādi Granth et du Dasam Granth, le premier recouvert d’un tissu pendjabi (Indien 693) comportant une quarantaine de textes, le second de petit format (Indien 694) comportant une vingtaine de textes. Il travailla également à Bombay avec un marchand pendjabi nommé Hajārimal qui l’aida à déchiffrer l’écriture gurmukhi en usage au Pendjab et qui copia pour lui le début d’un poème en vieil hindi dévolu au dieu Hanūmān (Indien 692). 

 

Publié en juillet 2024