Jean-Baptiste Gentil, collectionneur

Le don du colonel Gentil constitue la majeure partie du fonds de miniatures indiennes conservées aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France, environ quelques 2000 œuvres.

En 1752 Jean-Baptiste Gentil arrive en Inde comme un simple enseigne dans l’armée française à Pondicherry. Par la suite, il travaille dans le Deccan avant de finir sa carrière au service du Nawab d’Awadh. C’est là qu’il constitue principalement sa bibliothèque orientale, tout comme ses contemporains français, suisses, allemands ou anglais. De retour en France en 1778, il offre toute sa collection à la Bibliothèque du Roi Louis XVI, constituée de 183 manuscrits indiens, persans, arabes et sanscrits; des ouvrages sur la religion, l’histoire, les arts et la littérature de l’Orient. Gentil avait lui-même rédigé plusieurs manuscrits en français traitant de sujets divers concernant l’Inde, dont un Abrégé historique de l’Indoustan illustré de peintures indiennes qu’il avait commanditées.

Le don du colonel Gentil constitue la majeure partie du fonds de miniatures indiennes conservées aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France, environ quelques 2000 œuvres. Il ouvre un nouveau chapitre de l’histoire des collections orientales en France car il s’agit d’une des toutes premières collections de peintures indiennes constituées par un Européen en Inde. De par sa personnalité, Gentil inaugure un type nouveau de collectionneur et de commanditaire. Il servira de modèle à d’autres qui le suivront au XIXème siècle. Sensible et réceptif à la culture indienne, il voulait la présenter au peuple français sous tous ses aspects.

Peintures impériales

La collection Gentil contient un échantillon représentatif des thèmes privilégiés de l’atelier impérial, réalisés quand l’empire moghol était au faîte de sa gloire, entre le règne d’Akbar et de Jahangir, comme les miniatures attribuées au peintre Miskin, représentant les scènes du Shah Nama relatant les exploits guerriers légendaires des anciens rois d’Iran, rédigé par Firdousi au  XIe siècle. Une peinture représente l’empereur Jahangir en train d’admirer une miniature que lui présente le peintre Abul-Hasan, datée vers 1610 lui rappelant son propre rôle de mécène auprès de ses artistes. Son intérêt pour l’histoire moghole s’exprime aussi dans un album contenant une suite de portraits de vingt des souverains timourides, depuis Tamerlan (fin du XIVe siècle) jusqu’à Shah Alam II (1759-1806), copié sans doute d’après des originaux de la collection impériale.

peinture représente l’empereur Jahangir

Portraits et costumes indiens : [peinture]. Abul-Hasan. 1610

Peintures provinciales

Sa collection se compose aussi d’œuvres de qualité plus contemporaine, comme on en réalisait dans la région de Faizabad ou de Lucknow. Elle compte des portraits de personnages importants, tel le portrait de Nawal Rai, un Saksena Kayastha, qui devint en 1739 le ministre du père de Shuja ud-Daula. 

En dehors des portraits, beaucoup des principaux thèmes représentés dans l’école de Lucknow du XVIIIème siècle y sont évoqués: les scènes nocturnes de divertissement dans des zenanas princiers. Une peinture de Chitarman nous montre une princesse, assise sous un auvent et fumant le huqqa, regardant un spectacle donné la nuit par les dames du zenana, un autre un couple sur une terrasse la nuit peint à Faizabad vers 1765, qui représente peut-être la fête des lumières (diwali), sujet très en vogue dans les écoles mogholes provinciales.  

couple sur une terrasse la nuit peint à Faizabad

[Recueil de miniatures. Sujets historiques de la Perse] : [peinture]. Chitarman. 1765.

Manuscrits en français

Si la collection Gentil suit le goût de la cour moghole, elle témoigne aussi d’intérêts très divers. Gentil s’intéressait aussi à l’hindouisme comme en témoignent ses manuscrits rédigés ou traduits en français et illustrés par des peintures ou vignettes. Dans un style dérivé de l’école moghole, mais beaucoup moins raffiné, les illustrations du volume intitulé Divinités des Indoustan tirées des Pouranas ou livre historique en samscrétam révèlent une interprétation assez libre des codes iconographiques hindous. 

Gentil a fait illustrer de cent soixante-douze vignettes un manuscrit intitulé l’Abrégé historique des Rajas de l’Indoustan, traduction du Khulasat al-tavarikh de Sujan Ray Bhanzari Singh Batalavi, écrit en 1695-1696, qu’il acquit au Bengale et traduisit lui-même. La traduction de Gentil commence avec le règne de Bharata, l’ancêtre éponyme de l’Inde, et s’arrête à Raja Pithaura (Prithiviraja III), vers 1192, dernier roi hindou de Delhi. Les illustrations de l’Abrégé historique des Rajas de l’Indoustan sont du même style que plusieurs autres ouvrages de sa collection réalisés dans les années 1770-1775 et sont peut-être exécutées par les trois peintres de son atelier. Elles représentent sans doute la naissance du style de la Company School, auquel se rattache également la série de 24 grandes peintures commandées en 1774 et représentant les façades de divers palais à Delhi, Agra et Faizabad. 

Gentil s’est fait représenter lui-même aux côtés de Shuja, dans l’exercice de ses fonctions de conseiller militaire ou diplomatique. Dans une peinture inachevée, il se montre comme conseiller militaire de Shuja. Dans une autre, il est à côté de Shuja comme conseiller diplomatique, en train de signer le traité de paix après la bataille de Buxar (M. Archer, 1992).

Conclusion

Force est de constater le rôle que les miniatures de la collection Gentil jouèrent en France dans la transmission du patrimoine de l’Inde aux Français. Ainsi la collection Gentil a été consultée en 1788 par Nicolas Ponce, dessinateur, graveur de vignettes et d’estampes, qui s’intéressait aux vues et aux sites des colonies françaises et par Campion de Tersan, le célèbre antiquaire français, qui en fit une étude soigneuse. Elle était aussi connue des imprimeurs et graveurs parisiens comme Firmin-Didot et des collectionneurs comme Philippe Burty qui avaient prêté des oeuvres indiennes de leurs collections pour l’exposition universelle de 1878.

Publié en janvier 2023

Gentil, Jean-Baptiste