Le retour en Pologne des Polonais de France

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Le retour en Pologne des Polonais de France et leur confrontation avec la réalité communiste après 1945. Après la seconde guerre mondiale certains immigrés économiques polonais de France décident de retourner dans leur patrie tant rêvée. Malheureusement la confrontation avec les réalités économiques, sociales et culturelles et surtout avec l'ambiance stalinienne qui règne en Pologne suscite des regrets et une envie de repartir en France.

Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale s’avèrent catastrophiques tant sur le plan démographique qu’économique, aussi bien en Pologne qu’en France. Malgré les inégalités de développement entre les deux pays, les années d’après-guerre sont une période de pénurie tant sur les rives de la Vistule que sur celles de la Seine. Le charbon, la ressource énergétique incontournable à l’époque, est le garant de la reconstruction économique qui est une priorité.

Pour la Pologne, le retour des émigrants économiques permet de récupérer la main-d’œuvre qualifiée nécessaire pour les mines et les fermes auparavant allemandes des provinces de Haute et de Basse-Silésie désormais dans les frontières de l’État polonais après 1945. Il est donc évident que le retour de milliers de Polonais contribuerait à la croissance démographique, technologique et économique de la Pologne. Pour cette raison, le gouvernement de Varsovie réclame à la France le retour de ses ressortissants employés dans les mines et les fermes françaises. Cependant, les autorités françaises sont conscientes que la perte de cette main-d’œuvre qualifiée serait désastreuse pour l’industrie du pays. Il est à noter que la structure de l’émigration polonaise à dominante ouvrière demeure inchangée depuis l’entre-deux-guerres. Cette population parmi laquelle les mineurs sont majoritaires est concentrée dans la région minière du nord du pays (84,4% de l’ensemble de l’émigration économique active dans le département du Nord et 88,5% - dans le département du Pas-de-Calais).

En dépit des réticences du gouvernement français, le premier accord bilatéral relatif au rapatriement est signé le 20 février 1946 en vertu des articles 1, 6 et 10 de la Convention sur l’émigration et l’immigration de 1919. Les articles 1 et 6 de cette convention garantissent, entre autres, la liberté d’émigrer et de revenir alors que l’article 10 contient des dispositions diplomatiques relatives à l’évolution du marché du travail. Par la suite, trois autres accords sont signés : le 10 septembre (sanctionnant le retour de 2 000 ouvriers agricoles et de leurs familles), le 28 novembre 1946, et enfin le 24 février 1948.

La politique menée résolument par la France visant à retenir les mineurs polonais, porte les résultats escomptés. Seulement deux-tiers des familles polonaises (environ 25 000 soit l’équivalent de près de 70 000 personnes) retournent en Pologne sur 40 000 familles (environ 150 000 personnes) estimées au départ.

Le dilemme : « rentrer ou rester ? » se pose dans quasiment chaque famille polonaise vivant en France. Pour ceux qui se laissent tenter par la propagande du gouvernement de Varsovie, le grand enthousiasme à la perspective du retour dans la patrie tant rêvée disparait dès la confrontation avec la réalité stalinienne. Les disparités relatives au niveau de vie, aux conditions de travail et aux rémunérations sont douloureusement ressenties.

La déception largement répandue parmi les mineurs rentrés au pays pousse nombre d’entre eux à demander un visa de retour pour la France, et même à fuir pour les plus désespérés d’entre eux. De nombreuses lettres envoyées à la rédaction de Narodowiec, journal publié à Lens, en atteste : « Quand nous sommes partis pour la Pologne, ils nous promettaient beaucoup, mais aujourd’hui, ils ne nous donnent pas de gras». Les rapatriés découvrent que « les monts et merveilles » promis par l’État polonais se révèlent illusoires. Rien que pour la période de janvier à mars 1947 le consulat de France à Katowice reçoit 350 demandes d’autorisations de retourner en France.

Les Territoires Recouvrés (territoires octroyés à la Pologne à la conférence de Potsdam en 1945) sont repeuplés avec des Polonais issus de diverses cultures et milieux sociaux, déplacés des régions du centre du pays et surtout des Confins Orientaux (territoires anciennement polonais de l’est).

Néanmoins les rapatriés de France ne sont pas acceptés dans cette nouvelle société hétérogène ce qui les incite à resserrer les liens entre eux. Très organisés et engagés dans la vie publique au sein des syndicats, associations culturelles et clubs sportifs à l’époque où ils vivaient en France, ils se trouvent confrontés à la mentalité « orientale » après leur installation en Pologne. Leur amour du travail et l’attachement aux valeurs du métier de mineur se traduisent par un niveau civilisationnel plus élevé par rapport aux populations déplacées et aux rapatriés des Confins Orientaux.

Ce choc des « deux civilisations » pousse « les Français » (comme sont appelés ces rapatriés de France) à vivre entre soi, à parler français ou ch’ti et à cultiver les traditions importées de France, en essayant de surmonter ainsi le chagrin d’avoir quitté leur pays d’accueil.

Ils entretiennent plus volontiers des contacts avec les rapatriés de Belgique, de Westphalie voire avec les Allemands en partageant ensemble la déception face à la réalité stalinienne et au manque de compréhension, souvent basé sur des clichés, de la part des autres Polonais.

Ces rapatriés rapportent de France non seulement leurs biens matériels, mais également un mode de vie spécifique auquel ils n’ont pas l’intention de renoncer, comme par exemple : boire du café et du vin, préparer des salades, manger des crêpes et des jambons affinés. Le décor des appartements est dominé par des boiseries, des rideaux accrochés aux fenêtres, armoires et tables sont garnies de nappes ou de serviettes.

Ils se distinguent également par leur style vestimentaire : les jeunes femmes arborent des robes élégantes et les hommes des bérets, des vestes et des foulards bien caractéristiques. Leur façon de s’habiller « à la française» est souvent pointée avec une certaine jalousie. Par ailleurs, leur accent français et surtout le fait de parler français entre eux ou en argot polono-français agacent les autres Polonais.

De surcroît, dans les années quarante et cinquante, ces rapatriés sont surveillés par le Ministère de la Sécurité Publique (précisément par le Département I) sous le nom de code « Ouest » en raison des soupçons d’espionnage pour le compte des pays occidentaux.

 

Pour aller plus loin on peut se référer au livre d’Aneta Nisiobęcka  : Z Lens do Wałbrzycha : powrót Polaków z Francji oraz ich adaptacja w Polsce Ludowej w latach 1945-1950, 2018

 

Publié en mars 2022.