Le Parfait négociant de Savary, réédité huit fois entre 1669 et 1775, constitue aux XVIIe et XVIIIe la référence en matière de pratiques commerciales, notamment à propos des lettres de change, permettant depuis le Moyen-Age de transférer des fonds dans toute l’Europe. L’ouvrage précise pour chaque place financière les modalités de calcul des changes et des commissions sur les lettres de change.
L’exercice du commerce au Levant était gêné par l’absence de structures financières. Les marchands européens devaient apporter dans l’Empire ottoman des espèces métalliques fondées sur l’or, la monnaie ottomane l’était sur l’argent. Pour les Français, l’exportation d’espèces métalliques au Levant était interdite en raison du mercantilisme pratiqué par la monarchie française. Le commerce devait se pratiquer par le biais d’un échange de marchandises. Ce procédé a vite trouvé ses limites et le besoin d’espèces métalliques était vital. La lettre de change pallia cette difficulté. Dans les échelles du Levant, devant l’absence de changeurs et de marchands assez riches, les marchands français n’avaient qu’un seul interlocuteur, le pacha maître de la région et l’échelle.
Les transferts maritimes ou terrestres de l’impôt dû au Miri ou trésor de l’État à Istanbul étaient régulièrement attaqués par les corsaires, maltais notamment. Ainsi, le pacha pouvait transférer les fonds en toute sécurité à la capitale. Une lettre de change émise à Acre par le pacha auprès d’un négociant français pouvait être escomptée à Istanbul auprès d’un confrère de ce dernier. Cette pratique en principe simple, se révéla beaucoup plus compliquée. La négociation d’une lettre de change pouvait durer jusqu’à deux ans. Le comportement parfois malhonnête d’un marchand escomptant la lettre de change pouvait susciter la colère du pacha qui se retournait contre les marchands français ayant émis la lettre de change. L’introduction au Levant d’espèces métalliques frelatées était aussi la cause de réactions violentes de la part des officiers ottomans.
Au XIXe siècle, l’Empire ottoman était menacé de dislocation du fait des forces centrifuges liées aux nationalités qui le minaient et des ambitions territoriales de grandes puissances comme l’Autriche et la Russie. La Porte devait réformer et moderniser ses États. Tout était à faire en raison du sous-développement de l’empire, dans l’administration, l’éducation, l’armée et les infrastructures Les premières réformes, timides dans un premier temps, ne prirent une certaine ampleur relative qu’avec la politique des Tanzimats ou réformes mises en œuvre entre 1839 et 1878.
En ce qui concerne l’escompte des lettres de change, les négociants français au Levant durant la première moitié du XIXe siècle n’avaient plus comme interlocuteurs les officiers ottomans mais des marchands levantins dont la prospérité grandissait. L’activité des ressortissants français fut favorisée, par l’abrogation en 1835 de la législation datant de l’Ancien Régime régissant la présence des Français au Levant. Toutefois, contrairement au rapport préconisant leur abrogation, on prit soin de conserver les Capitulations, gage d’exterritorialité pour les ressortissants français à l’image des autres nations européennes. Le besoin de capitaux de l’Empire ottoman fut l’occasion pour les Européens d’imposer des traités commerciaux inégaux à leur seul avantage. Celui signé entre la Porte et l’Angleterre en 1838, suivi par d’autres comme la France, fut le premier. Pour mener ses réformes, la Porte emprunta à l’Europe et c’est dans le contexte d’un pays quasi neuf que les capitaux ont afflué au Levant. Toutefois, les prêts étaient consentis à la Porte à des conditions draconiennes et à des taux usuraires ruineux pour l’État ottoman. Ces prêts ainsi que les concessions accordées aux Européens (monopoles divers, affermages de revenus de l’État etc.) ont favorisé l’émergence d’un système bancaire en Turquie, la Banque ottomane à capitaux français pour 50% en 1856 devenant Banque impériale ottomane en 1863, à la fois banque privée et banque de l’État ottoman. Par la suite, des banques locales apparurent, mélanges de capitaux locaux et européens, souvent éphémères et appelées « banquiers de Galata ». Les puissances européennes implantèrent leurs filiales bancaires dans l’Empire ottoman, principalement britanniques et françaises. La question de la négociation des lettres de change était réglée pour les négociants français. Toutefois, le système des emprunts ottomans fut désastreux pour la Porte. Les investissements ne concernèrent que l’éducation, l’administration et l’armée et aucunement ou presque les infrastructures, chaque emprunt servant en grande partie à rembourser le précédent jusqu’à la banqueroute de l’État ottoman en 1875-1876. Celle-ci permit aux principales puissances européennes de prendre le contrôle des finances de la Porte et de 25 à 30 % des revenus de l’empire.