À la fin du XVIIIe siècle, Alexandrie apparaît comme une ville en déclin au vu de sa gloire antique, et les membres de l’expédition d’Égypte ne décrivent que ruines et désolation.
Les estimations de sa population sont difficiles, – il semble que l’on puisse tabler sur environ 15 000 habitants –, à l’inverse, son rôle commercial et militaire reste important : débouché de l’Égypte et de son hinterland lointain (péninsule Arabique, Inde et Extrême-Orient), elle est l'une des sources essentielles d’approvisionnement en vivres (blé, riz), en matériel militaire (cordages, étoupe, calfat) et en produits exotiques de l’Empire ottoman.
La documentation établie par les membres de l’expédition d’Égypte nous offre la vision d’une ville séparée en deux unités : d’un côté la ville ottomane établie à partir de 1517 sur le tombolo situé entre l’île de Pharos et le continent, de l’autre, l’ancienne ville, ceinte par la muraille toulounide, avec quelques zones d’habitation, mais surtout des vergers et des champs de ruines. Trois monuments antiques retiennent l’attention des savants, comme ils avaient retenu celles des voyageurs des siècles antérieurs, les catacombes de la Nécropolis, la colonne dite de Pompée, érigée en l’honneur de Dioclétien en 297 dans l’enceinte du temple de Sarapis, les « aiguilles de Cléopâtre », obélisques de Thoutmosis III qu’Auguste avait fait venir d’Héliopolis en 13 av. J.-C. et qui marquaient l’entrée du temple du culte impérial.
La courte occupation française mena surtout au renforcement des fortifications de la ville et à l’amélioration de maisons du quartier « franc ». Après des années troublées qui conduisirent Mohamed Ali à s’emparer véritablement du pouvoir, la ville connaît un regain d’activités aussi bien commerciales qu’édilitaires. Le creusement du canal Mahmoudieh, sous la direction de l’architecte P. Coste (1818-1821) assure un approvisionnement régulier en eau, tout en reliant le port au reste de l’Égypte et en provoquant l’extension des terres agricoles et des implantations rurales. Les fortifications sont modifiées sous la direction de P. Coste, puis, dans une 2e phase (1840-1860), sous celle du colonel du Génie B. Gallice. L’expansion et le développement du port et de l’arsenal (1835-1840), dûs à L.Ch. Lefébure de Cerizy et à D.E. Mougel ont joué aussi un rôle considérable. Dans cette ville-port militaire, les commerçants « francs » et les consuls européens développent à proximité du port Est, qui leur était seul accessible jusqu’en 1830, un nouveau quartier plus aéré, autour de l’ancienne place d’Armes, qui devient, en 1855, la place des Consuls, et, en 1867, la place Mohamed Ali (c’est là que se dressera, à partir de 1872, la statue équestre de ce dernier réalisée par H. Jacquemart). Affréteurs et négociants des produits exportables, les commerçants disposaient de leurs comptoirs à Minet el-Bassal (port aux oignons) à l’embouchure du canal Mahmoudieh.
Alexandria. Place Mohammed Ali and the Bourse/Alexandrie. La Place Mohammed Ali et la Bourse
La production et le commerce du coton, favorisés par l’introduction en Égypte d’une espèce à longue tige par L.A. Jumel dès 1823, connaissent un boom dans les années 1860 en raison de l'arrêt de l’approvisionnement depuis les États-Unis en pleine guerre de Sécession. Au même moment, sous les règnes d’Abbas, puis d’Ismaïl, la modernisation des moyens de transports (bateaux à vapeur à fort tonnage, voies ferrées entre Le Caire, Alexandrie et le reste de l’Égypte), des télécommunications et du port même d’Alexandrie, place la ville dans le champ économique mondial. L’ouverture du canal de Suez, loin de mettre en danger le commerce d’Alexandrie, le favorise en confirmant sa prédominance sur le trafic égyptien. Cette période voit l’afflux d’étrangers (sujets ou protégés européens et sujets ottomans), passant de 11 % de la population (104 189 habitants) en 1848 à environ 20 % de la population (232 000 habitants) en 1882.
L’affrontement entre les puissances européennes et le mouvement nationaliste égyptien, qui conduit au bombardement d’Alexandrie par la flotte britannique en juillet 1882, amène l’installation de l’économie coloniale et la mainmise britanniques. Le quartier européen est reconstruit, avec les nouveaux aménagements de la place Mohamed Ali et des jardins français, et s’étend à l’est vers la gare du Caire et la porte de Rosette. Les années 1882-1890 voient la naissance de la municipalité d’Alexandrie, dont les membres égyptiens et étrangers, issus de la grande bourgeoise foncière ou d’affaire, se donnent pour mission la gestion de l’espace urbain, depuis la voirie, l’eau et l’éclairage jusqu’aux services sanitaires. Leur langue d’expression est le français, qui a pris la place de l’italien dans les années 1860.
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, ces notables d’origine méditerranéenne – levantine, grecque ou juive –, qui étaient profondément implantés en Égypte, ont dominé de manière incontestée la cité qui comptait, en 1907, environ 400 000 habitants. Ils y ont introduit tous les éléments d’une ville européenne : bourse, assurances visant à protéger leurs entrepôts et leurs résidences principales, trams, corniche en bord de mer obtenue par remblaiements, établissements culturels et sportifs avec notamment le musée gréco-romain, le casino de San Stefano sis dans le quartier de villégiature à Ramleh, ou, plus tard, le grand stade d’Alexandrie, ainsi qu’établissements religieux, scolaires et caritatifs relevant de chacune des communautés.
Durant la Première Guerre mondiale, Alexandrie fut la base arrière du Front d’Orient et, en 1917, lors de l’expédition des Dardanelles, elle se transforma en une ville d’hôpitaux et de camps d’alliés, d’internés et de prisonniers.
Les mouvements nationalistes de 1919, la loi sur la nationalité égyptienne en 1926 et la convention de Montreux en 1937, qui met fin au régime des capitulations, vont contribuer à mettre à mal l’ordre britannique, l’autonomie de la bourgeoisie levantine et le modèle économique libéral, mais ce n’est que bien plus tard, entre 1952 et 1961, que le divorce sera consommé entre ceux qui, de communautaires, seront devenus des minoritaires et ceux qui, d’indigènes, seront devenus des citoyens égyptiens à part entière.