Ce sont les Jésuites qui ont forgé et acclimaté en Europe le nom de Confucius pour latiniser le sage Kongzi, ou Kongfuzi 孔夫子, et le terme de confucianisme pour désigner ses enseignements tels qu’étudiés et pratiqués par les lettrés (en chinois ru 儒).
Les Jésuites et le confucianisme
Arrivant en Chine, les missionnaires jésuites, après diverses tentatives peu couronnées de succès, décident de se présenter (intellectuellement et physiquement) comme des lettrés aspirant à la fonction publique, et donc étudiant et pratiquant les Classiques dans leur interprétation confucéenne qui est la doxa de l’Etat impérial – certains deviendront eux-mêmes, quoique dans des fonctions techniques très spécifiques (astronomes, peintres, cartographes), des fonctionnaires de cet Etat. C’est parmi ce milieu des lettrés confucéens qu’ils feront l’essentiel de leurs convertis ; et ils présenteront en Europe leur tradition comme essentiellement agnostique, et leurs rituels (culte du Ciel, sacrifices aux ancêtres…) comme civils et moraux et non religieux. Cette interprétation sera critiquée comme idolâtre par d’autres missionnaires (dominicains et franciscains notamment), ce qui déclenchera la querelle des rites, close en 1742 par une condamnation papale de la position jésuite. Si l’accommodement chrétien des rites confucéens a donc connu une histoire tourmentée, l’érudition jésuite continuera à dominer la lecture des textes confucéens en Europe jusqu’à l’émergence de la sinologie victorienne (traductions des Classiques par le missionnaire protestant James Legge, 1815-1897) puis au XXe siècle, l’essor d’une histoire laïque de la pensée chinoise.
Textes confucéens
Du fait de cette affinité entre les missionnaires et le confucianisme, le poids des textes et documents liés au confucianisme est particulièrement important parmi les premiers livres chinois rapportés en France et confiés à la Bibliothèque royale. On y trouve des éditions des Classiques (sur la base desquels étaient organisés la formation des lettrés et les examens d’entrée dans la fonction publique) ; nombre de ces Classiques prédatent, du moins en partie, l’émergence du confucianisme en tant que tel au Ve siècle avant notre ère, mais leur exégèse standard est quant à elle fermement confucéenne. On trouve aussi des manuels destinés aux étudiants préparant les examens mandarinaux ; des essais et des anthologies des grands penseurs, notamment ceux du néoconfucianisme (XIe- XVIe siècles) ; des manuels de la liturgie familiale et impériale ; ainsi que l’hagiographie confucéenne, depuis la vie du Saint lui-même, jusqu’à celles de divinités considérées également comme exemplaires des vertus confucéennes, tel Guan Yu 關羽.
De même, parmi les passages traduits par ces missionnaires savants, dont beaucoup sont repris dans la grande encyclopédie de Du Halde, La Description de la Chine (1735), ces références confucéennes sont dominantes.
Les débats sur le confucianisme
De tous les « -ismes » inventés par les missionnaires et savants européens pour mettre en catégories leurs nouvelles connaissances sur la Chine et autres pays d’Asie, le confucianisme est certainement celui qui aura été et continue à être le plus sujet à polémiques. Bon nombre de chercheurs aujourd’hui préfèrent éviter le terme (lui préférant ru, ou « classicisme », ou d’autres néologismes encore), tandis que ceux qui utilisent « confucianisme » se doivent de le définir précisément dans le contexte dont ils traitent. S’il est vrai que les écrits jésuites et leur interprétation philosophique-éthique du confucianisme constituent un lourd héritage, qui continue encore souvent à laisser dans l’ombre la part rituelle et mystique de la tradition lettrée, il ne faut pas non plus leur accorder tout le crédit d’une invention du confucianisme sans ancrage dans la réalité. La définition même de ce que constitue le confucianisme fait rage en Chine depuis des siècles et jusqu’à aujourd’hui, avec des positions très diverses, ouvertes (voire syncrétiques) ou restrictives (fondamentalistes). On assiste en même temps à des réinventions purement philosophiques ou éducatives, à des projets politiques par le haut (allant eux-mêmes des plus conservateurs aux plus libéraux), et à des mouvements religieux, voire messianiques, parfois issus des couches modestes de la population : tous se réclament du confucianisme et reprennent ce faisant des visions parfois anciennes. La longue histoire de la réception, de la réinterprétation, et du retour en Chine de cette vision européenne du confucianisme n’est qu’un des éléments d'une longue et fascinante polémique.
Légende de l'image : Confucius. Abrégé historique des principaux traits de la vie de Confucius, célèbre philosophe chinois. 1782-1792