Biot, Édouard (1803-1850)

Accéder aux documents

Après une formation scientifique, puis un emploi comme ingénieur dans les chemins de fer, Edouard Biot se tourna soudain vers l’étude de la Chine et devint un sinologue prolifique. Il fut de fait l’un des premiers spécialistes de la Chine à se pencher sur l’histoire des sciences et des techniques dans l’Empire du Milieu. Comment opéra-t-il cette transformation ? C’est la question que pose sa biographie.

Une vie riche en rebondissements

Fils unique de Jean-Baptiste Biot (1774-1862), l’un des physiciens les plus en vue dans la France de la première moitié du XIXe siècle, Edouard Biot suivit les traces de son père et réussit le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique en 1822. Pour des raisons inconnues, il décida cependant de ne pas intégrer l’Ecole, mais poursuivit sa formation en science puis se prépara à une carrière dans les chemins de fer.  Quelques années plus tard,  Edouard est associé aux frères Seguin pour monter une société qui construira la ligne de chemin de fer entre Lyon et Saint-Etienne. Une fois la ligne mise en exploitation, il est, en 1833, définitivement évincé de la direction de la Société (Cotte 2007).

C’est précisément dans ces années qu’il se tourne vers l’étude du chinois. La première chaire dispensant l’étude du chinois en Europe avait été créée au Collège de France en 1814, pour Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832).  Stanislas Julien (1797-1873) lui succède en 1832, et c’est auprès de ce maître qu’Edouard se formera à la langue et à l’histoire chinoises. Entre 1835 et 1850, l’année de sa disparition, il publiera un nombre impressionnant de mémoires et d’ouvrages sur la Chine. La « Notice » qu’il rédige sur ses travaux, en 1842, puis en 1847, l’année où il est élu membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, les classe en trois grandes catégories.

Une première rubrique, « Histoire et économie sociale des Chinois », regroupe ses publications ayant trait à une évaluation de la population ou des terres en Chine, aux types de travailleurs de bas statut (esclaves ou serviteurs gagés), à la propriété terrienne, aux impôts, ou encore au système monétaire chinois. C’est là qu’il fait figurer son Essai sur l'histoire de l'instruction publique en Chine, paru en 1847.

Edouard Biot rassemble, sous la seconde rubrique, « Géographie chinoise », des travaux traitant de multiples aspects du territoire chinois (« Points de partage entre les bassins des grands fleuves de Chine », « montagnes et cavernes », « ancienne température », « tremblements de terre », « déplacements du cours inférieur du fleuve jaune », « extension progressive des côtes orientales de la Chine », etc.). Son Dictionnaire des noms anciens et modernes des villes et arrondissements de premier, deuxième et troisième ordre compris dans l'empire chinois, paru en 1842, relève de cette catégorie.

La dernière rubrique, « Documents scientifiques et industriels, relatifs à la Chine », regroupe ses travaux d’histoire des sciences et des techniques et des écrits sur le géomagnétisme ou la minéralogie de la Chine. On y trouve l’ensemble des relevés systématiques qu’Edouard Biot a effectués dans des ouvrages chinois et qui fournissent, aux astronomes de son temps, de longues listes d’observations chinoises portant sur divers types de phénomènes célestes (Han Qi et Duan Yibing 1997).

Si la traduction de l’ouvrage canonique Rites des Tcheou, parue à titre posthume grâce aux efforts de son père et de son maître Stanislas Julien, ne figure pas dans ces notices, elle aura pourtant un impact notable sur les travaux sinologiques ultérieurs.

 

Comment travaille-t-on sur la Chine depuis Paris ?

A la différence des missionnaires, qui ont écrit et écrivent à l’époque encore sur la Chine en y séjournant et en y développant des liens avec des érudits chinois, Edouard Biot fait partie de ces premiers spécialistes de la Chine qui se forment et travaillent en Europe sans avoir jamais pu voyager en Asie.  Pour traiter les sujets qu’il aborde, il ne peut s’appuyer que sur les fragments d’informations qu’il peut saisir à Paris. Il dispose tout d’abord des écrits des missionnaires publiés en Europe, ainsi que de ceux de leurs manuscrits auxquels il a accès dans les bibliothèques parisiennes. Ces documents lui sont essentiels, même si, loin de les prendre pour argent comptant, il les évalue de façon critique et les corrige, en les confrontant en particulier aux sources chinoises sur lesquelles ces prédécesseurs se sont appuyés et qu’Edouard peut consulter à Paris.

En effet, Paris compte à l’époque des ressources documentaires sur la Chine uniques en Europe, et attire de ce fait, comme grâce à l’enseignement qu’on y dispense, les jeunes Européens qui souhaitent se consacrer à ce domaine (Walravens 2008). En tout premier lieu, la Bibliothèque Royale recèle des collections de documents chinois qui sont fondamentales pour les travaux d’Edouard Biot, même s’il a conscience de leur caractère lacunaire. Il y supplée grâce à des prêts que lui consentent Stanislas Julien, ou des membres de la toute récente Société Asiatique. Biot se fait l’écho de la manière dont son maître s’évertue à compléter ces collections et à combler les carences de sa documentation.

Au nombre des sources chinoises que Biot exploite, certaines jouent un rôle crucial. C’est le cas de la compilation文獻通考Wenxian tongkao de Ma Duanlin馬端臨 (1254-1323), puis du supplément qui en fut réalisé pour les siècles ultérieurs jusqu’en 1644, lorsque ce dernier ouvrage est disponible à Paris. Ces collections fournissent, en effet, de précieux aperçus généraux et raisonnés sur l’ensemble de la documentation chinoise relative à un vaste éventail de sujets. Biot puise la matière première de nombreuses publications dans les divers chapitres de cette véritable bibliothèque, tout en ne cachant pas les difficultés qu’il éprouve parfois à faire sens de ce texte.

Les divers dictionnaires de la langue chinoise qui sont désormais aisément disponibles en Europe lui sont d’une aide précieuse, qu’il s’agisse du dictionnaire chinois-latin élaboré en Chine par le Frère Mineur Basile de Glemona (1648-1704), et publié en 1813 sous la forme d’un Dictionnaire chinois, français et latin par Chrétien-Louis-Joseph de Guignes (1759–1845), ou du tout récent dictionnaire chinois-anglais publié en Chine entre 1815 et 1822 par Robert Morrison, voire même du dictionnaire de Kangxi réalisé en Chine un siècle auparavant. Ces dictionnaires ne sont pas seulement pour lui des outils d’interprétation, mais ils offrent des exemples que Biot utilise régulièrement comme documents dans ses raisonnements. Toutefois, Edouard reconnaît à plusieurs reprises que l’aide que lui procure Stanislas Julien reste cruciale.

Biot ajoute à ces sources d’information tout ce qui lui tombe sous la main. Récits et notes de voyage, manuels de navigation, lettres adressées à Stanislas Julien, objets et spécimens rapportés de voyage, tout est disséqué et mis à profit pour travailler sur la Chine depuis Paris. Biot mobilise ainsi des ressources d’origines les plus variées pour aborder à distance, par exemple, l’évolution du magnétisme terrestre ou du climat en Chine ou retracer l’histoire des cours du Fleuve Jaune.

Si Biot travaille sur la Chine dans la lignée des sinologues qui l’ont précédé, il est également en contact étroit avec des scientifiques à la recherche de données anciennes pour faire avancer leurs travaux. Biot leur livrera de nouveaux matériaux sur des phénomènes célestes et terrestres, en organisant les renseignements prélevés ici ou là sous la forme de catalogues ou en traçant des cartes. Il réalise ainsi la synthèse entre deux formations et deux cultures, l’une d’ingénieur, l’autre de sinologue, qu’il aura contribuées à faire dialoguer.

 

Légende de l'image : Sur le chapitre Yu-koung du CHOU-KING, et sur la géographie de la Chine ancienne. E. Biot, Journal Asiatique, 3e série, 14, 1842, p. 152-224.

Biot, Édouard (1803-1850)