La rue du Caire à l’exposition Universelle de 1889 à Paris

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La Rue du Caire est une libre reconstruction du cadre urbain cairote, présentée à  l'Exposition universelle de 1889 à Paris. C'est la première fois que l'Égypte y figurait par une rue, et non par des pavillons.

La « Rue du Caire » installée à Paris à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1889 représente pour son promoteur, le baron Alphonse Delort de Gléon (1843-1899), l’aboutissement d’un projet entamé vingt ans plus tôt lorsque, jeune ingénieur des mines expatrié en Égypte pour reprendre les affaires d’un oncle fortuné, il découvre les splendeurs de l’art islamique : « cet art charmant, si peu connu, que j’ai étudié longtemps et que j’ai aimé dès le premier jour ». Il s’attache dès lors à redonner vie à l’architecture mamelouke et ottomane du Caire dans des réalisations contemporaines, tout en constituant une précieuse collection d’objets islamiques, par la suite légués au musée du Louvre avec une dotation permettant d’y installer une section islamique.

En 1871-1872, le collectionneur fait construire dans les quartiers neufs du Caire une maison « de style arabe » sur les plans de l’architecte Ambroise Baudry (1838-1906). Le cœur de l’habitation reprend les dispositions des grandes salles à plan cruciforme des demeures mameloukes et ottomanes, qu’éclairent zénitalement un lanterneau central. Le décor tant extérieur qu’intérieur est parsemé de moulages d’ornement pris sur les monuments historiques du Caire, un procédé réutilisé à Paris en 1889. Des éléments dessinés dans le goût mamelouk complètent l’ornementation, tels les caractéristiques parements en mosaïque de marbre polychromes qui agrémentent les constructions anciennes du Caire, ou des menuiseries à décor étoilé. Le jour est filtré par des vitraux en plâtre et par des moucharabiehs. Des carreaux d’époque ottomane aux tons turquoise et bleu marine sont disposés en tour de porte. Le mobilier est fait de boiseries anciennes remontées dans des cadres modernes. Des suspensions en cuivre ajouré éclairent les pièces. C’est une maison de collectionneur, et aussi de mécène : pendant plusieurs années, la maison Delort fait office de « Villa Médicis du Caire », où les peintres de passage, la plupart passés par l’atelier de Jean-Léon Gérôme, trouvent ateliers et modèles. Lorsque la Grande-Bretagne occupe l’Égypte en 1882, Delort met en location sa demeure et en construit une autre plus modeste, toujours inspirée de l’architecture locale et reprenant le principe du remploi de décors anciens. Dans l’hôtel particulier qu’il acquiert au même moment à Paris, il installe en parallèle des salles néo-islamiques, dont un grand salon pourvu d’un moucharabieh.

La rue reconstituée à Paris en 1889 résulte ainsi d’une démarche mûrie et amplement expérimentée, où l’effet d’authenticité provient de l’incorporation de répliques et de remplois dans une construction neuve. « J’ai fait tous mes efforts pour inventer le moins possible et rester dans l’interprétation d’une sincérité absolue », affirme Delort dans la publication, illustrée de ses propres photographies, qu’il consacre à la réalisation. S’étendant sur 150 m en bordure du Palais de l’Industrie, la rue est conçue comme un assemblage de types architecturaux propres au Caire. De part et d’autre de la voie, on retrouve une fontaine-école (sabil-kuttab), ces édicules à deux étages dont le premier abrite une citerne destinée à la distribution d’eau et le second une école coranique, des échoppes à façade en bois, un café, ou encore la copie du minaret, diminué d’un étage, de la mosquée sépulcrale du sultan Qaytbay, achevée en 1476. Comme pour les maisons de Delort de Gléon au Caire, des moucharabiehs, des portes et des balustres anciens sont intégrés dans la structure, de même que des faïences. Il est à nouveau fait appel à des moulages pour les niches en coquille, les linteaux de porte ou les entrées monumentales du bazar. Pour parfaire l’illusion d’une architecture marquée par le temps, les façades reçoivent un crépissage d’aspect brut qui leur donne toute la patine voulue. Au total, vingt-cinq façades différentes sont élevées.

C’est pourtant moins le décor et l’agencement de la rue que son animation qui lui valurent un succès retentissant, au point d’en faire l’un des clous de l’Exposition. Pour que l’on s’y crût vraiment, Delort de Gléon avait fait venir du Caire une cinquantaine d’âniers avec leurs ânes, qui offraient des promenades aux badauds, petits ou grands. Un café servait du café turc ; des danseuses du ventre s’y produisaient en soirée. Les étals des marchands égyptiens recrutés par Delort de Gléon faisaient la joie des collectionneurs. Les artistes venaient en matinée y rechercher la couleur locale. Des aquarelles de René Binet donnent une idée de la vivacité des tonalités présentes. Si la dimension ethnographique, considérée comme excessivement orientaliste, de ce type de reconstitution a pu en entacher l’aura au siècle suivant, le public du temps ne bouda pas son plaisir. A la fin de l’exposition, comme il était d’usage, les décors de la Rue du Caire furent démontés et revendus. Delort en conserva un lot de boiseries et de moucharabiehs, avec lequel il construisit dans la station d’Arromanches un chalet de villégiature  baptisé localement « Villa arabe ». Ce fut semble-t-il le dernier recyclage de ces décors, dont la trace s’est ensuite perdue.

Légende de l'image : Rue du Caire - "Exposition Universelle". V. Estampe de Félix Vallotton, 1901

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