C’est à partir de l’Angleterre que la mode du bain de vapeur se propage en France sous le Second Empire. Outre ses vertus hygiéniques, la société française y trouve de nouveaux lieux de sociabilité.
C’est à partir de l’Angleterre que la mode du bain turc se propage en France sous le Second Empire. À Istanbul au milieu du XIXe siècle, un jeune diplomate et philanthrope écossais, David Urquhart, se passionne pour les bains publics de la capitale ottomane, dénommés par le terme arabe de hammâm. Il voit dans le bain de vapeur collectif un moyen d’améliorer l’hygiène ouvrière, mais aussi de promouvoir la mixité sociale en Angleterre. À son retour d’Istanbul, il entreprend de construire un premier établissement à Cork, en Irlande en 1856, puis un autre à Manchester en 1859, à Londres en 1862 ; des dizaines d’autres suivent à travers le pays.
Ils inspirent peu après des initiatives similaires dans l’Hexagone. La première du genre est revendiquée par le médecin Charles Despraz, qui ouvre à Nice en 1868 un bain fait « d’après les plans les plus parfaits des nombreux Hammams de l’Angleterre ». Sa fréquentation est envisagée comme une forme de loisir ; sa vocation est aussi l’édification morale de la classe ouvrière en y faisant pénétrer « des jouissances honnêtes au grand détriment des cabarets et de tous les mauvais lieux ». Un lieu similaire est ouvert à Lyon l’année suivante. Un vaste hammam offrant toute la gamme de la thermothérapie ouvre à Vichy en 1881.
En réalité, le bain turc avait pénétré bien avant les intérieurs de l’élite parisienne. La Maison pompéienne que le prince Jérôme Napoléon fait construire en 1855-1858 avenue Montaigne sur les plans d’Alfred Normand intègre des « bains turcs ». C’est d’ailleurs pour le prince Napoléon qu’Ingres peint Le Bain turc, achevé en 1859, bien que la toile ne soit restée que quelques semaines entre ses mains, avant de passer dans celles du fameux collectionneur ottoman Khalil bey, connu pour son goût des erotica. L’œuvre d’Ingres est de pure imagination ; elle tire sa matière des lettres d’Orient de Lady Montagu parues à la fin du XVIIIe siècle et maintes fois rééditées, et en particulier de sa Description du bain des femmes d'Andrinople.
En 1876, deux architectes, Albert Duclos et William Klein, entrent en possession d’un terrain à Paris au 56, rue Neuve des Mathurins pour y établir le siège social de leur agence. Au rez-de-chaussée du futur immeuble de rapport, ils installent des bains « turco-romains » dont ils assurent l’exploitation. A la suite d’Urquhart, le bain turc était considéré comme une continuation des thermes romains et les Ottomans étaient vus comme les passeurs d’une pratique antique à la période moderne. De là, le qualificatif de « turco-romain ». La nouvelle installation est basée sur une stricte séparation des sexes. Les dispositions des bains pour hommes et des bains pour femmes sont identiques mais leurs entrées sont séparées. Les architectes dotent l’immeuble d’une façade de style mauresque toujours visible aujourd’hui 18 rue des Mathurins, même s’il ne subsiste rien des intérieurs d’origine, de longue date réaménagés pour accueillir des commerces.
Le Hammam : bains turco-romains, rue Neuve des Mathurins, n°56. 1876
Le Hammam, bains turco-romains, des nouveaux quartiers de l’Ouest parisien devient en peu de temps le rendez-vous du Tout-Paris. Ferdinand de Lesseps a des bureaux dans l’immeuble à partir de 1880. « Dans ce délicieux palais mauresque, se trouvent réunis tous les raffinements de l’élégance et du confortable » vante la presse au moment de l’Exposition universelle de 1878. Au-delà de ses vertus hygiéniques, Le Hammam œuvre, soutient-elle, au « délassement du corps » comme à la « récréation de l’esprit ». C’est aussi, et surtout, un lieu de haute sociabilité. Des personnalités en vue comme le baron Haussmann, Gambetta, les Ducs d’Aumale et de Montpensier, le baron Rothschild, le prince Napoléon, le comte Potocki, le baron Seillière sont des clients réguliers. Nasser-al-Din Shah, empereur d’Iran, visite les lieux, tout comme l’Empereur du Brésil qui en commande la photographie à Félix Nadar. On est loin de l’esprit philanthropique et réformiste qui avait présidé à la promotion du bain turc en Europe.
En 1926, un hammam est intégré au complexe de la mosquée de Paris récemment construite. Pendant la décennie après mai 1968, il devient un des hauts-lieux du féminisme militant de la capitale, avant de connaître une diversification de son public.