Le mot de la présidente
La Bibliothèque nationale de France (BnF) possède l’une des collections sinologiques les plus riches et les plus anciennes au monde. En effet, la France s’est intéressée très tôt aux études chinoises et la Bibliothèque nationale de France a accompagné ce mouvement dès le XVIIe siècle.
La première acquisition de livres chinois par la Bibliothèque du Roi date de 1668, mais la « collection chinoise » est véritablement lancée en 1697, lorsque le père jésuite Joachim Bouvet rapporte à Louis XIV 312 volumes de Chine, puis le père Jean de Fontaney, deux collections de 72 volumes offerts par l’empereur Kangxi. La fin du XIXe siècle marque le début d’une nouvelle ère de la sinologie française, qui devient plus systématique et organisée. En 1902, Maurice Courant publie ainsi le catalogue thématique de l’ancien fonds chinois de la Bibliothèque nationale de France.
Le site France-Chine entend mettre en lumière ces collections exceptionnelles, ainsi que des ensembles documentaires et iconographiques remarquables appartenant à la Bibliothèque Diplomatique Numérique du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et à la Bibliothèque municipale de Lyon, partenaires de la BnF. Dès 2019, la Bibliothèque nationale de Chine (BnC) et la Bibliothèque municipale de Shanghai la rejoindront afin d’offrir aux chercheurs comme aux simples curieux des documents conservés dans leurs prestigieuses collections nationales.
La sélection a été réalisée par une équipe de scientifique, à la BnF et dans les bibliothèques partenaires, enrichie des précieux conseils et suggestions documentaires du conseil scientifique du projet. Que les nombreux chercheurs et universitaires qui ont accepté de participer à ce conseil, comme ceux ayant contribué à l’enrichissement éditorial du site, soient ici très chaleureusement remerciés de leur contribution. Je voudrais témoigner de ma reconnaissance toute particulière à Mme Marianne Bastid-Bruguière, sinologue de renommée internationale et membre de l’académie des sciences morales et politiques, pour l’attention toujours bienveillante mais néanmoins vigilante et acérée qu’elle a porté dès l’origine à ce projet.
Avec près de 7000 documents en ligne issus de onze Départements de collections de la BnF, cette sélection témoigne de la richesse et de la diversité des échanges culturels, religieux, scientifiques et artistiques entre la France et la Chine, du XVIe siècle à 1945. Elle s’organise en six « chapitres », richement éditorialisés.
Le premier chapitre est dédié aux routes - celles de la soie qui relient les hommes, les textes, les religions, les œuvres et les marchandises, entre la ville de Chang’an à la ville d’Antioche en Syrie médiévale - et aux « premiers voyageurs » - en particulier les missionnaires chrétiens qui furent du Moyen-Âge à la fin du XVIIIe siècle les émissaires savants à la source des informations sur la Chine en Occident. La BnF conserve ainsi un fonds particulièrement riche d’ouvrages rédigés par des membres de la mission jésuite française comme les grandes collections des Lettres édifiantes et curieuses (1702-1776), la Description de la Chine et de la Tartarie chinoise éditée par le père Du Halde en 1735, les Mémoires concernant les Chinois qui ont irrigué l’Europe de données savantes sur la culture chinoise. On y trouve également une importante et superbe sélection de cartes marines issues du fonds du service hydrographique de la marine, des cartes chinoises anciennes ou les cartes de la Chine de la collection d’Anville.
Le deuxième chapitre est consacré aux pouvoirs et aux relations diplomatiques entre la France et la Chine. Il y est par exemple question de l’Ambassade de Lagrené qui, à l’instar des missions jésuites du XVIIIe, a rassemblé une très riche somme de renseignements concernant la Chine, mais aussi l’Asie du Sud-est. Plusieurs autres documents d’une très grande richesse iconographique représentent le pouvoir impérial tel que l’exceptionnel « Tableaux des peuples tributaires de la grande dynastie impériale de Chine ». On y découvrira une surprenante représentation des français vus par des fonctionnaires chinois du XVIIIème…
La chapitre intitulé « connaissances » témoigne des apports scientifiques et de la construction des savoirs sur la Chine. Elle traite du bouddhisme qui a toujours occupé une place d’honneur dans les collections et la recherche française, du confucianisme et du taoïsme et du développement, au début du XVIIIe, de la sinologie française, préfiguratrice des sinologies occidentales. On y retrouvera des personnalités marquantes de la sinologie telles que Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832), Édouard Chavannes (1865-1918), Stanislas Julien (1799-1873) puis bien évidement Paul Pelliot (1878-1945), dont le fonds conservé au Département des Manuscrits représente à lui seul plus de 8 000 documents et 80 000 images numérisées. Le visiteur y trouvera des recueils remarquables tant pour leurs qualités scientifiques qu’esthétiques, que ce soit dans le domaine des mathématiques et les sciences astrales, avec par exemple une quarantaine de calendriers annuels de la dynastie mandchoue des Qing, en chinois et en mandchou ; la médecine chinoise, réélaborée et interprétée hors de Chine à partir du XIXème siècle ; la botanique ; la zoologie ; ou encore un important corpus de presse, qu’illustrent les « Lettres édifiantes et curieuses, écrites des Missions étrangères, par quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus » ou encore trente-huit numéros du Courrier de l'Extrême-Orient, revue politique, commerciale et littéraire de premier rang.
Les documents consacrés aux « scènes de vie » en Chine, aux techniques et à l’artisanat enrichissent cet ensemble iconographique exceptionnel et témoignent d’une « sinophilie du goût », qui se traduit dans toute l’Europe au XVIIIe, par des chinoiseries de toutes sortes, dans le mobilier, la vaisselle, les étoffes, l’architecture des jardins. Les « Quarante vues du jardin de la Clarté parfaite », chef-d’œuvre de l’art chinois daté du XVIIIe et représentation idéale des jardins de la résidence d’été des empereurs chinois, y occupe une place de choix. Ce document fait partie des « trésors » du site France-Chine.
Ce goût de la Chine se décline dans le dernier chapitre, « arts et lettres », avec la musique, la littérature et le théâtre. On y croisera Jules Verne, qui s’interroge sur l’introduction du « progrès occidental » dans un pays qui lui apparaît si « bizarre » ou encore Victor Hugo. Plus insolite, on y entendra l’envoyé extraordinaire du président de la République chinoise qui raconte sa mission et chantonne une version inconnue de l’hymne national chinois.
Avec ce site, la BnF s’inscrit pleinement dans ses missions de diffusion et de valorisation d’un patrimoine écrit à valeur universelle, matière d’exception pour des travaux de recherche mais aussi pour des découvertes proposées pour les publics. A travers une stratégie numérique innovante et unique en son genre, la BnF décline cette responsabilité à l’échelle internationale. France-Chine constitue ainsi le quatrième opus de sa collection numérique, « Patrimoines partagés », qui ambitionne de créer de nouveaux espaces virtuels d’échanges et de savoirs, de favoriser l’émergence de nouvelles coopérations scientifiques et internationales et d’éclairer un patrimoine documentaire français enrichi de ses échanges avec le monde. Puissent les chercheurs, enseignants et étudiants, dont l’accueil s’inscrit au cœur des missions et des valeurs fondatrices de la Bibliothèque nationale de France, y trouver matière à réflexion. Puisse ce site également satisfaire tous ceux qui souhaitent approfondir leur compréhension de la Chine.