Les relations entre Victor Hugo et le Brésil furent dissymétriques. Si le poète français a rayonné sur la culture brésilienne au XIXe siècle, le Brésil en revanche est peu présent dans l’œuvre de Hugo, où il apparaît tardivement.
L’écrivain pourtant ne fut pas totalement ignorant d’un pays dont il entendit parler par Charles Ribeyrolles, compagnon d’exil à Jersey et auteur en 1859 d’un Brésil pittoresque. Une des premières références à ces contrées lointaines se trouve dans son recueil Chansons des rues et des bois, de 1865. Un ensemble de 21 textes, intitulé « L’éternel petit roman », y relate le récit d’un amour passager, des premiers émois à l’oubli final. Huit poèmes , notamment, y évoquent une certaine Rosita Rosa – nom qui masquerait une conquête de l’auteur – venue de « ce Brésil/ si doré qu’il fait du reste/ de l’univers un exil » ("Gare !"). On découvre, un an plus tard, une brève allusion aux « dames brésiliennes » de « Rio-Janeiro » dans Les Travailleurs de la mer. En 1884 enfin, l’année précédant sa mort, Hugo se réjouira de la suppression de l’esclavage dans l’État du Ceará, dans un discours lu au cours d’un banquet présidé par Victor Schoelcher. Un an plus tôt, il aurait rédigé un poème célébrant « le vaste Brésil aux arbres semés d’or », qui ne sera publié que le 27 février 1902 dans le Jornal do Brasil, mais cette attribution est sujette à caution.
Ces quelques traces dans l’œuvre hugolienne ne rendent pas compte de l’influence du poète sur la vie culturelle au Brésil durant le XIXe siècle. Dès les années 1830, ses textes sont publiés, traduits et discutés au sein des élites intellectuelles. À Rio, le Jornal do Commercio fait paraître quelques-uns de ses romans en feuilletons. Les écrivains brésiliens se reconnaissent dans la véhémence de Victor Hugo, sa rhétorique passionnée, ses images fortes, ses antithèses vigoureuses et son rythme caractéristique. On retrouve ces envolées poétiques et ce souffle épique chez les romantiques, surtout ceux qui se sont regroupés dans le Condoreirismo, mouvement dont le symbole est le condor, oiseau majestueux qui plane haut et voit loin. Ces auteurs adhèrent à la vision hugolienne de l’Histoire, à sa mystique du Peuple et surtout au rôle messianique du Poète, porte-parole sinon guide de la Nation vers le Progrès, la Justice sociale et la Liberté. Vers le milieu du siècle, l’influence de Victor Hugo est omniprésente dans la littérature : épigraphes, citations, traductions. C’est par exemple le poète Gonçalves Dias qui traduit Bug-Jargal, ou encore le romancier Machado de Assis qui s’empare des Travailleurs de la mer. Au point qu’on a pu parler d’« hugoanismo » pour caractériser ces multiples manifestations. Son rayonnement déborde même la littérature : un opéra, Maria Tudor, est composé par Carlos Gomes entre 1874 et 1878. Le plus emblématique de ces thuriféraires est Castro Alves, chantre ardent de la liberté, que l’on a accusé d’être plus « hugolâtre » que brésilien, parfois jusqu’à la limite du plagiat (cf. ses Palavras de um conservador).
Chez les romantiques, le combat littéraire se confondait avec le combat politique et social. Paris représentait alors pour les Brésiliens un lieu utopique où se vivaient les idéaux de la Révolution Française, et Victor Hugo, du fait de son engagement puis de son exil politique, en était le prophète. Il est significatif que les livres les plus réédités à cette époque aient été Les Châtiments, Histoire d’un crime et Napoléon le Petit. Le combat des artistes pour la république et contre l’esclavage était en résonance avec les écrits de Hugo. L’empereur du Brésil lui-même, dom Pedro II, dont les idéaux éclairés se heurtaient aux intérêts des propriétaires d’esclaves, tint à présenter ses hommages à Hugo lors de son passage à Paris en 1877 (voir « Visite au poète français »).
La fascination brésilienne fut particulièrement visible à la mort de l’écrivain. Mais plus que le poète ou le dramaturge, les Brésiliens ont salué le héraut de la liberté que fut pour eux Hugo. À cette occasion le journaliste Muci Teixeira fit publier les Hugonianas, un recueil hommage, reprenant 107 poèmes de Victor Hugo, traduits par certains des plus grands écrivains de l’époque (Castro Alves, Gonçalves Dias, Casimiro de Abreu, Vicente de Carvalho, Artur Azevedo, etc.). Mais ce point d’orgue fut aussi le chant du cygne de l’influence hugolienne. Une fois l’esclavage aboli et la république établie, la modernité se situait du côté du courant réaliste. Et l’attirance pour Hugo déclina peu à peu.
De nos jours, comme en témoigne par exemple le "Symposium International Victor Hugo" qui s’est tenu en juillet 2002 à Belo Horizonte, l’auteur français – dont la notoriété auprès de l’auditoire populaire est régulièrement ravivée par de nouvelles adaptations – demeure, pour le public cultivé brésilien, une figure de référence de la pensée humaniste.
Publié en 2009
Légende de l'illustration : Victor Hugo. L. Mabilleau. 1893