Habile dessinateur et infatigable polygraphe, Émile Prisse d’Avennes est l’auteur d’une œuvre protéiforme sur les monuments antiques et médiévaux d’Égypte, découverts au hasard d’un recrutement en 1827 au sein des écoles militaires égyptiennes à l’issue d’une formation d’ingénieur des Arts et métiers.
Appartenant à la catégorie des « hommes de l’art » venus aux sciences de l’antiquité après de premiers pas dans le génie civil ou l’architecture, l’archéologue amateur quitte son emploi égyptien en 1836 pour se vouer tout entier à des recherches inscrites au croisement de l’art et de l’histoire. Toute la chronologie égyptienne l’intéresse, des vestiges des anciens Égyptiens à la culture matérielle de l’Égypte contemporaine. Autodidacte doté d’un tempérament bouillant, homme de terrain plutôt que de cabinet, il laisse une bibliographie extrêmement variée. Il est connu également comme Edris-Effendi, usant parfois du pseudonyme P. du Boulery
Servi par sa formation technique, Prisse aborde l’étude de « l’Égypte monumentale » (titre d’ensemble initialement donné à son œuvre) avec de sérieux atouts. C’est un excellent copiste, au « crayon élégant et fidèle ». Les années passées au service du gouvernement égyptien lui ont fourni une connaissance inégalée du pays, de sa langue et de ses usages ; portant le costume local, il sait à l’occasion se faire passer pour musulman, à défaut d’une supposée conversion à l’islam que rien n’atteste. Il fait de cette familiarité une méthode : « C’est en entrant corps et âme dans la vie des musulmans, en parlant leur langue, en respectant leur religion, en épousant leurs préjugés que je suis parvenu à pénétrer un tant soit peu dans les mœurs et coutumes des Arabes d’autrefois » écrit-t-il dans ses notes, conservées au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.
Établi de 1839 à 1843 à Louxor, Prisse se familiarise, au contact des ruines et au prix d’un travail acharné, avec les hiéroglyphes ; il mène prospections et fouilles à ses frais dans les environs. Afin d’établir la succession des règnes et l’ordre des bâtisseurs des temples, il quête toute inscription utile à la chronologie royale. Excellent observateur, il repère la Chambre des Ancêtres de Thoutmosis III à Karnak, aux murs mentionnant soixante-et-un souverains, qu’il fait desceller pour la transporter à Paris en arguant de la menace représentée par le vandalisme ambiant. Remonté à la Bibliothèque royale, le monument rejoint en 1917 le Musée du Louvre. Il offre également le Papyrus Prisse, l’un des manuscrits littéraires les mieux préservés de l’Égypte ancienne.
Sa curiosité pour les remplois antiques, très abondants dans l’architecture islamique, le conduit dans de nombreux sanctuaires; il devient un excellent connaisseur de leur architecture et de leurs décors, et en rapporte force dessins et estampages. Épris d’exactitude, Prisse applique aux monuments du Caire « l’étude chronologique et méthodique » qu’il a faite des temples égyptiens, sans se départir du regard de l’artiste : « Plus j’avance dans l’étude des monuments du Kaire, et plus je suis ravi d’admiration pour les artistes arabes » note-t-il. Des dix-sept années passées en Égypte, Prisse rapporte encore des observations sur l’administration du pays, la paysannerie nilotique ou les objets du quotidien. Une première série de publications illustrées de caractère égyptologique, ethnographique ou politique, en résulte.
En 1858, Prisse obtient des crédits publics pour repartir en Égypte, cette fois avec le dessinateur Famars Testas et le photographe Jarrot. Il est l’un des premiers à faire un usage systématique de la photographie pour ses relevés monumentaux. Durant deux années pleines, les trois hommes dessinent, estampent et clichent, dans des conditions parfois éprouvantes, des monuments au Caire, puis dans la vallée du Nil. Cette nouvelle moisson lui permet d’achever son grand œuvre égyptologique et de donner corps à son dernier projet éditorial : un grand atlas sur l’art arabe. Près de dix ans de labeur acharné sont nécessaires pour venir à bout de cette luxueuse entreprise comptant 175 planches lithographiées en couleurs sur 200. Un volume de texte, érudit, clôt l’ensemble en 1877. L’archéologue s’éteint deux ans plus tard à Paris dans l’indifférence générale.
Ses travaux ont connu une postérité principalement iconographique. Exploitées par de successifs éditeurs une fois l’œuvre tombée dans le domaine public, ses illustrations ont été fréquemment reproduites, mais rarement avec un texte d’accompagnement. Aucune des rééditions de L’Art arabe… (la dernière parue en 2010) n’est de nature critique : les planches sont publiées à l’identique, légendes obsolètes incluses. Beaucoup ont fait le bonheur des ornemanistes comme modèles pour des décorations intérieures. Prisse avait lui-même prédit que ses atlas resteraient « malgré tous les progrès de la science ».