Au début de l’année 1843, Théodose de Lagrené (1800-1862) fut chargé par Louis-Philippe de diriger une ambassade en Chine, laquelle était accompagnée d’une délégation commerciale.
Le 24 octobre 1844, Lagrené signa avec Qiying耆英 (1787-1758) le premier traité franco-chinois, ou Traité de Whampoa, qui devait marquer le début de véritables relations diplomatiques entre les deux pays. À l’instar des missions jésuites du XVIIIe siècle, cette ambassade a rassemblé une très riche somme de renseignements concernant la Chine, mais aussi l’Asie du Sud-est.
Prélude de la mission
À la fin des années 1830, lorsque les relations anglo-chinoises commençaient à se tendre, le gouvernement français s’était mis à créer des postes consulaires en Extrême-Orient et à multiplier les missions spéciales en vue de suivre de près la situation dans la Mer de Chine.
En juin 1840, une flotte britannique arriva à Canton, les hostilités débutèrent peu après. Le gouvernement français décida alors d’expédier une mission spéciale, organisée conjointement par le ministère de la Marine et celui des Affaires étrangères. Le premier ordonna au capitaine de vaisseau Cécille (1787-1783) de visiter les possessions françaises en mer de Chine ; tandis que le second, François Guizot (1787-1874), chargea A. P. Dubois de Jancigny (1795-1860) d’obtenir des renseignements précis concernant les affaires chinoises et de l’Inde anglais. Ce dernier se mit alors à la disposition du ministre de l’Agriculture et du Commerce afin de recevoir des instructions spéciales concernant l’éventuels intérêts commerciaux français.
Peu après son arrivée à Macao en janvier 1842, Jancigny rejoignit l’élève-consul de France, avec lequel il se mit en compétition avec Cécille. Le gouvernement français, persuadé de la nécessité d’établir à Canton un consul diplomatique digne de ce nom, nomma alors le comte de Ratti-Menton (né en 1799). Toutefois, l’annonce de l’arrivée du nouveau consul ne fit qu’inciter Jancigny à accélérer ses démarches auprès de Qiying afin d’arrêter certains principes généraux. Après l’arrivée de Ratti-Menton à Macao, la situation dégénéra. Selon le Journal de Joseph-Marie Callery (1810-1862), Cécille, Jancigny, Ratti-Menton et Challaye sont dépeints par les autorités chinoises « comme ayant agi chacun de son côté pour avoir la haute main sur les affaires et négocier chacun suivant ses vues et ses intérêts personnels ».
L’ambassade de Lagrené
Au début de l’année 1843, le roi Louis-Philippe décida enfin d’envoyer en Chine une ambassade et désigna comme chef de mission l’ancien ministre plénipotentiaire en Grèce, Théodose de Lagrené. Cette mission, accompagnée d’une délégation commerciale, avait pour objectif principal de négocier et de conclure un traité d’amitié, de commerce et de navigation permettant aux Français d’obtenir les mêmes avantages et garanties que les Anglais. Elle fut également chargée d’élaborer avec les délégués spéciaux, un plan d’échanges industriels et agricoles entre les deux pays. Par ailleurs, une note confidentielle du ministre des Affaires étrangères enjoignit Lagrené de chercher, hors des frontières de l’empire chinois, un lieu pouvant servir à la fois de point d’appui et de ravitaillement pour la marine française en mer de Chine.
Sur décision du ministère des Affaires étrangères, l’ambassade fut composée comme suit :
- le baron de Lagrené, chef de mission, ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire ;
- le marquis de Ferrière Le Vayer (1812-1864), premier secrétaire ;
- le vicomte Bernard d’Harcourt, second secrétaire ;
- Xavier Raymond (1812-1886), historiographe, envoyé spécial du Journal des Débats ;
- Melchior Yvan (1806-1873), médecin de la légation ;
- Charles de Montigny (1805-1868), chancelier ;
- Marey-Monge, attaché dépendant du ministère aux Affaires étrangères ;
- Un attaché rémunéré, trois attachés indépendants et J.-M. Callery, interprète de la mission, résidant alors à Macao en tant qu’interprète du Consul.
Les membres de la délégation furent désignés par le ministère de l’Agriculture après consultation avec les chambres de commerce de Reims, de Mulhouse, de Saint- Étienne, de Lyon et de Paris. Il comprenait :
- Auguste Haussmann (1815-1874), pour l’industrie des cotons ;
- Natalis Rondot (1021-1900), pour l’industrie des laines, draps et vins de Champagne ;
- Isidore Hedde (1801-1880), pour l’industrie des soies de soieries ;
- Édouard Renard (1812-1898), pour les articles dits de Paris.
Le ministère des Finances adjoignit à l’expédition Jules Itier (1802-1877), inspecteur des douanes, chargé d’étudier les questions des tarifs et de la navigation, et son secrétaire Charles Lavollée (né en 1823). Quant au ministère des Affaires étrangères, il intégra le docteur Mallat de Bassilan (1808-1863), chargé d’une mission spéciale en Indochine.
La Mission fut scindée en deux groupes, qui suivirent des itinéraires différents. Le 12 décembre 1843, le corps de l’ambassade, accompagné d’Itier et de son secrétaire, embarqua à Brest sur la frégate la Sirène, et après le parcours traditionnel via l’Amérique du Sud, arriva dans la rade de Macao le 13 août 1844. Quant aux délégués commerciaux, accompagnés du second secrétaire de l’ambassade, ils quittèrent Brest le 20 février 1844 sur l’Archimède qui effectuait un voyage d’essai. Pour la première fois, un navire à vapeur français partant de France pour la Chine, longeait les côtes d’Europe et d’Afrique en contournant le cap de Bonne-Espérance. Après de nombreuses escales visant à se ravitailler et à faire des investigations, l’Archimède arriva à Macao le 24 août 1844. La délégation commença aussitôt ses travaux.
La négociation entre Qiying et Lagrené et les enquêtes de la délégation
Dès avant l’arrivée de Lagrené à Macao, la mission qui lui avait été confiée était presque accomplie : l’administration chinoise ayant manifesté son intérêt pour le projet de Jancigny ; Qiying avait fait une déclaration officielle à la suite d’entretiens avec Ratti-Menton.
Lagrené, étant persuadé que le catholicisme pouvait servir les intérêts français en Chine, désirait alors traiter de la question religieuse avec les représentants de l’Empire chinois. La religion chrétienne fut ainsi au centre des pourparlers entre les deux hommes. Après une longue négociation essentiellement par échange de courriers, les deux négociateurs parvinrent néanmoins à conclure que tout Français pourrait établir des églises dans les cinq ports ouverts et y exercer leur culte. Aux yeux des Chinois, il ne s’agissait que d’une tolérance conditionnelle ; mais ces textes furent interprétés par la plupart des missionnaires français et des chrétiens chinois comme entérinant la liberté religieuse à l’intérieur de l’empire.
La prospection en Chine se fit en deux périodes, séparées par un voyage en Asie du Sud-Est : la première étape couvre la période de fin août 1844 à mi-février 1845, pendant laquelle la délégation évolua entre Macao et Canton ; la seconde s’étend du 3 octobre au 22 décembre 1845, date à laquelle elle quitta Canton pour l’Europe. Pendant cette seconde période, les délégués parcoururent les ports ouverts par le traité de Nankin, à l’exception de Fuzhou, ainsi que certaines villes renommées pour leurs industries artisanales, comme la soie et les soieries, telles Suzhou et Zhangzhou.
Plusieurs membres de la mission, hommes aux compétences multiples et d’une grande curiosité, manifestèrent le plus grand intérêt pour l’histoire, la culture, l’administration, la politique, les industries, et tout particulièrement l’histoire naturelle des régions qu’ils visitaient. Ils ont laissé de nombreux écrits, riches en observations d’une grande finesse.
Légende de l'illustration : Monsieur de Lagrené