Les voyages d'Auguste de Saint-Hilaire

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De tous les voyageurs étrangers qui visitèrent le Brésil après l’installation de la cour de Jean VI à Rio de Janeiro, le botaniste Auguste de Saint-Hilaire est peut-être celui qui a atteint la plus grande notoriété dans le pays, et cela moins par son importante œuvre scientifique que par les quelque trois mille pages qui composent le récit de ses expéditions.

Les quatre parties (huit tomes) des Voyages dans l’intérieur du Brésil furent publiées entre 1830 et 1851 par différentes maisons d’édition parisiennes; en 1887, l’œuvre fut complétée par une publication posthume, parue à Orléans et organisée par un héritier du savant. Au Brésil, les premiers extraits du récit furent traduits en Portugais dès 1845 et publiés dans le Recreador Mineiro - première revue littéraire du Minas Gerais, la province que Saint-Hilaire avait visité en premier et à laquelle il consacra le plus grand nombre de pages. Il fallut attendre la deuxième décennie du XXe siècle pour que les traductions intégrales des divers tomes des Voyages commencent à voir le jour, sous des titres divers et chez différents éditeurs brésiliens.

Né le 4 octobre 1779, Auguste François César Prouvençal de Saint-Hilaire appartenait à une riche et noble famille de l’Orléanais (Loiret). Après ses premières études, effectuées chez les Bénédictins de Solesmes, il suivit une formation en commerce et industrie dans le Nord de l’Europe, en vue de diriger une entreprise familiale (raffinerie de sucre). Cette perspective ne le passionnait guère, mais le séjour ne fut pas inutile : il lui donna une vision concrète des applications pratiques des sciences naturelles (perceptibles dans ses écrits) ainsi que la maîtrise de l’allemand et de l’anglais, indispensable à sa formation scientifique ultérieure et qui lui permit d’acquérir une culture littéraire considérable. Saint-Hilaire était en effet un amoureux de la littérature romantique et des récits de voyage ; dans ses écrits, les noms de grands naturalistes côtoient ceux d’écrivains et de philosophes allemands et français : Humboldt, Buffon, Herder, Bernardin de St Pierre, Madame de Staël, Chateaubriand. Il fut un correspondant de Madame de Genlis – auteur, entre autres, de La botanique historique et littéraire – qui a probablement influencé sa réorientation professionnelle : après son retour en France, Saint-Hilaire décide de se consacrer à l’étude de la botanique et suit des cours au Muséum d’histoire naturelle et à la faculté de médecine de Paris.

En 1816, grâce à ses relations familiales, il parvient à intégrer la délégation du duc de Luxembourg, ambassadeur extraordinaire de France qui partait pour une mission diplomatique de quelques mois auprès de la cour portugaise. Très enthousiaste et curieux devant la variété et l’exubérance de la nature brésilienne – la flore, la faune, les formations minérales - Saint-Hilaire restera finalement « six années entières » dans le pays afin de mieux l’étudier. Rio de Janeiro, son port d’arrivée et de départ, fut naturellement choisie comme lieu principal de dépôt pour ses collections d'histoire naturelle, et par conséquent il dut y revenir plusieurs fois. Son « voyage général se composa ainsi de plusieurs voyages particuliers, entièrement distincts » ; par la suite, l'organisation de l’ouvrage et l’ordre de parution des différentes parties du récit allaient correspondre à la chronologie des différentes expéditions.

Avant d’entamer la série des grands périples, il herborise pendant plusieurs mois dans les environs de Rio, et fait un voyage expérimental à Ubá, frontière indienne située à trente lieues de la côte, sur la route du Minas Gerais. C’est vraisemblablement sa première expérience de l’altérité : la rencontre avec un groupe d’Indiens Coroados le bouleverse, et il ne cache pas sa désapprobation lorsqu’il découvre certaines mœurs des esclaves, comme les batuques et les danses « indécentes » pratiquées par les négresses. Dans ces premiers chapitres du récit sont déjà réunis la plupart des éléments qui caractérisent l’ensemble de l’ouvrage et qui l’ont rendu si précieux aux botanistes ainsi qu’aux historiens, géographes et anthropologues brésiliens et brésilianistes . Ses descriptions du paysage concernent certes la nomenclature, l’anatomie et la « la géographie des plantes », mais elles pénètrent aussi le champ de la géographie humaine: Saint-Hilaire s’intéresse aux formes et aux processus d’occupation et d’exploitation des terres, à l’administration civile et ecclésiastique, aux lexique spatial et aux toponymes, aux productions agricoles, au commerce, à l’architecture, à la démographie et aux mœurs des différentes populations. Rattaché aux pratiques utilitaristes et philanthropiques qui caractérisent la littérature de voyage de la période, Saint-Hilaire est préoccupé par le sort des peuples autochtones : il envisage même une politique de métissage avec les Africains afin de permettre aux Indiens de « résister à la supériorité des Blancs ». Notons au passage que ses compétences linguistiques étaient remarquables : non seulement il arriva à maîtriser les nuances du portugais assez vite, mais il s’intéressa aussi aux différentes langues amérindiennes. Témoin direct des « révolutions » latino-américaines, et convaincu, à l’instar de Chateaubriand, que « les voyages sont l’une des sources de l’histoire », Saint-Hilaire s’attache à commenter aussi bien les grands faits du processus d’indépendance de la jeune nation que la « petite » histoire régionale ou locale du Brésil.

De retour dans son pays natal, et malgré une maladie nerveuse très contraignante, Saint-Hilaire se lance dans un travail méticuleux de composition des différents tomes des Voyages, qui lui prendra trente ans. Pour faire patienter ses lecteurs, il s’efforce d’en publier régulièrement des extraits, notamment dans Les Nouvelles Annales des Voyages. Outre son journal manuscrit « écrit sur les lieux », la rédaction des Voyages s’est nourrie également de la consultation de divers ouvrages sur le Brésil qui furent publiés au fil des années, et que l’auteur « a fait tous les efforts pour réunir ». Le caractère monumental du récit est la conséquence de cette rigueur et de cette méticulosité : comme l’a remarqué l’un de ses biographes, s’il est vrai que Saint-Hilaire avait « souvent de l’élégance », et qu’il était « toujours logique, ingénieux et clair » dans ses écrits, son côté « prolixe » et pointilleux était indéniable. Le souci du détail et de l’exactitude, qui rend ses descriptions si précieuses pour ses lecteurs d’aujourd’hui, a sans doute agacé une partie de son public européen de l’époque, plus avide d’évasion et d’exotisme que de données précises. Ce reproche lui a été fait par au moins l’un de ses lecteurs : Ferdinand Denis, dans un compte rendu publié dans la Revue des Deux Mondes, en 1831.

En dépit de sa santé défaillante, Saint-Hilaire est parvenu a bâtir une carrière scientifique et une image publique remarquables. Nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1826, il devient membre de l’Académie des Sciences en 1830, et quatre ans plus tard obtient le poste de professeur de botanique à la Faculté des sciences de Paris. Il ne prend sa retraite qu’en 1852, et décède l’année suivante, dans son château familial de la Turpinière (Sennely - Loiret), quatre jours avant son 74e anniversaire. En France, sa notoriété scientifique n’a pourtant pas résisté à l’usure du temps : à l’exception d’un cercle très restreint de botanistes ou de chercheurs brésilianistes, aujourd’hui le nom d’Auguste de Saint-Hilaire est pratiquement inconnu des Français (on le confond souvent avec Geoffroy de Saint-Hilaire, sans lien de parenté avec Auguste), y compris dans sa ville natale : la page web de la Mairie d’Orléans consacrée aux « personnages célèbres » n’inclue pas Saint-Hilaire parmi les notables orléanais du XVIIIe-XIXe siècles.

Au Brésil, au contraire, le botaniste n’est jamais tombé dans l’oubli. D’après la comtesse d’Eu (la Princesa Isabel des Brésiliens), à la fin du XIXe siècle le nom du savant était toujours « bien connu », et ses travaux, « qui ont fourni tant de renseignements sur une grande partie du pays », y jouissaient depuis longtemps « de la plus grande estime » . En effet, les éditions françaises de l’œuvre de Saint-Hilaire figurent en bonne place dans le catalogue de l'Exposição de História du Brazil , réalisée à la Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro en 1881. En 1928, on inaugurait un « monument » à sa mémoire – le buste que l’on peut contempler dans l’une des allées du Jardim Botânico. Quelques années plus tard, on songea même à transférer ses cendres dans le « panthéon » national brésilien – projet improbable qui s’est avéré impossible à réaliser. En 1979, la Biblioteca Nacional lui rendait un nouvel hommage, en réalisant une belle exposition commémorative du bicentenaire de sa naissance qui a mérité un article enthousiaste du poète Carlos Drummond de Andrade. À cette occasion, plusieurs autres écrivains et intellectuels brésiliens ont mis en avant les contributions du grand « Augusto » aux sciences naturelles et humaines, ainsi que les liens affectifs qu’il avait tissés avec le pays. C’est sans doute grâce à cela que son prolifique récit de voyages n’a jamais cessé d’y être réédité.

En 2016, un colloque international s’est tenu à la Bibliothèque Nationale de France et à la Maison de l’Amérique Latine : Regards croisés franco-brésiliens Autour du bicentenaire du voyage au Brésil d’Auguste de Saint-Hilaire (1816-1822) et de Ferdinand Denis (1816-1819).

Publié en 2009

Légende de l'illustration : Histoire des plantes les plus remarquables du Brésil et du Paraguay. A. de Saint-Hilaire. 1824

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