"Par un emphatique « pour l’amour de Dieu », le président Lula a essayé hier d’inciter son collègue Nicolas Sarkozy à ne pas enterrer le projet de construction d’un pont sur le fleuve Oyapocq, à la frontière de l’Amapa et de la Guyane Française".
Agence Estado, 24 décembre 2008.
Après quelques siècles de conflits, d’intrigues et de discussions, la liaison physique par-dessus le Fleuve qui a servi de ligne de division est chargée de symbolisme : si auparavant on se querellait pour séparer, on le fait aujourd’hui pour unir. Ce nouveau chapitre de l’histoire commune de ces deux souverainetés promet intégration et développement pour les deux côtés, une logique rarement présente s’agissant de la relation Brésil - Guyane Française.
Le litige territorial séculaire qui en constitue la marque historique remonte aux premiers temps de la colonisation des Amériques. Deux processus distincts ont sous-tendu l’occupation des guyanes française et portugaise : le premier –rigide et exact- visait à contrôler et à déterminer la part qui reviendrait à chacune des deux nations, produisant une large gamme de traités et autres textes ; le second au contraire transgressait les résolutions des cabinets, se déroulant en marges des accords et sur les berges du très convoité réseau fluvial amazonien.
La dénomination générique « Guyanes » et ses problèmes de frontières ne se limitèrent pas aux relations entre la France et le Portugal. Le territoire s’étendant entre les fleuves Orénoque et Amazone fut disputé par les cinq principales nations ultramarines de l’Europe, l’Angleterre, l’Espagne et la Hollande étant les « détentrices » du reste de ce partage. Partage pas toujours reconnu et source de conflits. Les défis de la colonisation furent nombreux, particulièrement la relation imprévisible avec d’autres nations qui étaient restées en dehors du « pacte » européen : ses habitants d’origine, les indigènes. La complexité de cette expérience coloniale gagna de nouveaux contours avec l’introduction d’esclaves africains, créant les conditions d’une lutte constante pour le contrôle du travail indigène et noir en régime de servitude. Les deux groupes résistèrent, cherchant protection derrière les murailles des forêts vierges, égratignant frontières effacées et leurs souverainetés officielles : nouveaux maillons de sociabilité.
Depuis les cabinets européens, de vastes étendues de terre américaines étaient concédées. En 1604, le Français La Ravardière est nommé par le roi de France pour explorer et coloniser un immense territoire, couvrant de l’embouchure de l’Amazone jusqu’au-delà de l’île de Cayenne. Beaucoup de terres, beaucoup d’ambitions, mais peu de moyens. La Ravardière ne parvient même pas à s’installer à São Luis, ville fondée par lui et d’autres compatriotes –expérience éphémère de trois ans (1612-1615). Une logique semblable est à l’origine de la donation des terres du Cabo Norte –actuel Amapa, Etat limitrophe de la Guyane Française, avec près de 730 km de frontière commune- faite en 1637 à Bento Maciel Parente, l’un des chefs militaires qui avait pris part à la destruction de l’implantation française au Maranhao.
L’occupation proprement dite du territoire français et portugais fut timide et lente. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, commença la fixation en quelques points clefs du Cabo Norte et de la Guyane Française. Pour les Français, l’installation définitive à Cayenne n’eut lieu qu’avec l’ultime expulsion des Hollandais en 1676. Les Portugais du Grao Para -province portugaise en Amérique qui englobait la vallée de l’Amazone- se verraient aussi en conflit avec les mêmes nations.
La contestation territoriale, comme nous l’avons déjà dit, fut la principale marque de cette histoire commune entre Français et Portugais –et par la suite Brésiliens. Au long de plus de deux siècles, des traités successifs de frontières furent signés, leur contenu variant selon les contextes politiques et les balancements de pouvoir. Le coeur de ces disputes, curieusement, se porta sur l’identification d’un fleuve. Ou bien de deux ?
Si banal que cela paraisse, cette indéfinition détermina la (non)possibilité pour les Français d’obtenir l’accès convoité à l’Amazone. La résolution finale des litiges, en 1900, montra la « maturité » des deux nations –elle fut obtenue grâce à l’arbitrage de la Suisse- et ne manqua pas de la présentation de mémoires de part et d’autre : un historique circonstancié et documenté de cette longue relation de conflits, à l’occasion duquel de vieilles cartes furent retournées, des archives, exhumées, et les récits de cette expérience, reproduits ou cachés.
Publié en 2009
Légende de l'image : Rade de Cayenne. P. Barrere (dessinateur). 1743