Jane Dieulafoy a mérité, au même titre que son mari Marcel (1844-1920), de figurer en bonne place dans les annales de l’archéologie. Ils sont tous deux devenus archéologues en Perse au cours d’une première mission d’exploration en 1881-1882, puis en 1884-1886 pour inaugurer les premières fouilles d’envergure à Suse.
« Indissociables compagnons » aux yeux de Camille Saint-Saëns comme de la société parisienne qui fréquentait leur salon de la rue Chardin à Passy, ils sont tous deux devenus archéologues en Perse, découverte au cours d’une première mission d’exploration en 1881-1882, puis retrouvée en 1884-1886 pour inaugurer les premières fouilles d’envergure à Suse. Au cours de la première expédition, dont ils assurent eux-mêmes les frais, ils parcourent à cheval le pays du Nord au Sud sur des milliers de kilomètres, pour établir un inventaire du patrimoine monumental iranien en recourant à la photographie ; c’est Jane qui réalise les prises de vue, constituant ainsi une documentation d’une qualité exceptionnelle pour les publications de Marcel et les siennes. La mission de Suse est soutenue officiellement et financièrement par le musée du Louvre et par le ministère de l’Instruction publique placé alors sous l’autorité de Jules Ferry, sensible au bénéfice que la France peut retirer d’une telle entreprise sur le plan diplomatique et économique. Le Shah Nasr-ed-Din accorde par ailleurs son autorisation de fouiller le site. Pour l’exploration archéologique de Suse, Marcel, lui-même polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, s’adjoint deux jeunes gens, Babin et Houssaye, l’un ingénieur et l’autre naturaliste, constituant une véritable équipe capable de diriger des travaux de grande envergure en suivant une méthode raisonnée. Quant à Jane, elle devient « un » archéologue de terrain et, ainsi qu’elle le souligne, « le collaborateur » de Marcel, se chargeant en particulier de tous les travaux photographiques, de la direction de plusieurs chantiers et de la tenue du journal de fouille. C’est elle en particulier qui dirige l’exhumation des extraordinaires frises des Lions et des Archers et procède au relevé méthodique des briques émaillées, en prévision de la reconstitution de ces fleurons de l’art achéménide au musée du Louvre, qui recueillera également l’un des chapiteaux aux taureaux adossés qui couronnaient les colonnes monumentales de l’apadana du palais d’Artaxerxès.
Par ailleurs, la Perse fait naître en Jane une vocation d’écrivain qui ne cessera de s’affirmer après le retour en France. C’est ainsi que dès 1883 elle publie dans la revue Le Tour du monde la relation du premier voyage (parue sous le titre La Perse, la Chaldée, la Susiane, Hachette 1887). Le vif intérêt soulevé par ce récit auprès d’un large public ne se dément pas lorsqu’elle publie en 1888 A Suse, journal des fouilles. Elle s’y révèle conteuse talentueuse mais aussi sociologue, anthropologue et journaliste et dévoile au public les dramatiques conditions de vie et de travail de ces Européens qui entreprennent de sonder l’Orient pour révéler ses origines. Dès lors, jusqu’à la fin de sa vie, elle poursuit une carrière littéraire inaugurée par la publication de Parysatis (1890), roman historique couronné par l’Académie française, qui, dans le décor de Suse, fait revivre la reine monstrueuse évoquée par Plutarque. Quant à Marcel, son Art antique de la Perse en cinq volumes publiés de 1884 à 1889, lui permet d’engager une brillante carrière scientifique, couronnée par son élection à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1895 ; l’iconographie, composée des photographies prises par Jane, suscite l’admiration de la communauté savante internationale.
La notoriété du couple Dieulafoy grandit encore lorsque les salles persanes du Louvre sont inaugurées le 20 octobre 1886 et que le président Carnot honore Jane de la croix de la Légion d’honneur, qu’elle reçoit au titre de sa contribution aux travaux de Suse. Il est aussi probable que l’on distingue par la même occasion la combattante de la guerre franco-prussienne, qui, tout juste mariée, a choisi d’endosser l’uniforme de franc-tireur et de rejoindre avec Marcel l’armée de la Loire –moment décisif où elle endosse pour la première fois le costume masculin qui manifeste son engagement dans une vie d’action, d’aventure et de créativité. Les expériences persanes la confirment dans ce choix vestimentaire qu’elle maintient une fois revenue à Paris et qui fait d’elle une « émancipée » très en vue, une intellectuelle qui déploie une intense activité d’écrivain, de conférencière et de journaliste et contribue à la création du prix Femina. Elle mène une carrière autonome indépendamment de celle de Marcel, et semble ainsi surmonter l’immense déception de ne pouvoir poursuivre les travaux entrepris sur le site de Suse. En effet, au terme d’une longue période d’incertitude, le pouvoir politique écarte les Dieulafoy et leur préfère Jacques de Morgan (1857-1924), ingénieur lui aussi, qui a reçu en 1889 du Ministère de l’Instruction publique une mission pour la Perse, au cours de laquelle il se rend à Suse. Après avoir assuré avec succès la direction du Service des antiquités de l’Égypte de 1892 à 1897, il est choisi pour assurer la responsabilité de la Délégation archéologique française en Perse, la plus grande entreprise archéologique jamais organisée par un pays européen.
Jane et Marcel auront encore de nombreuses occasions de collaborer puisqu’ils entreprennent ensemble de nombreux voyages d’étude en Espagne et au Portugal, Marcel publiant L’Art de l’Espagne et du Portugal (1903), et Jane des monographies sur certaines provinces espagnoles ainsi que la biographie d’Isabelle la Grande, parue à titre posthume en 1920. Lorsqu’en août 1914 la guerre éclate, le colonel Dieulafoy demande à reprendre du service dans le corps du Génie et est affecté au Maroc sous les ordres du général Lyautey, le Gouverneur général. Jane n’hésite pas davantage qu’en 1870 et c’est déterminée à illustrer son projet de l’emploi des femmes dans l’armée qu’elle quitte Paris avec Marcel le 10 septembre. A Rabat, Marcel Dieulafoy soumet au général Lyautey une proposition d’exploration archéologique du site de la mosquée Hassan, qui s’inscrit dans la politique de mise en valeur du patrimoine monumental et historique du Maroc conduite par le Gouverneur général. Accaparé par le service du Génie, Marcel remet la direction du chantier à Jane qui mène à bien le dégagement de l’ensemble des ruines de la mosquée du XIIe siècle (M. Dieulafoy, La Mosquée d’Hassan à Rabat, Paris, 1920). Par ailleurs, l’exploration du site de Volubilis est envisagée et Marcel est sollicité pour l’élaboration d’un projet des fouilles à y conduire. Quant à Jane, le concours qu’elle apporte au dispensaire indigène et au service de l’ambulance est cause de son décès à Pompertuzat près de Toulouse, le 25 mai 1916. En août 1916, le lieutenant-colonel Marcel Dieulafoy gagne le front du Nord et reprend le service actif sous les ordres du général Foch.