Editorial

"Rassembler autant de richesses, au-delà de l’intérêt qu’il y a à constituer des ensembles documentaires et iconographiques cohérents, devient ici la promesse et l’occasion de recherches et de découvertes"

En mars 2016, à l’initiative de mon prédécesseur, Bruno Racine, la Bibliothèque nationale de France et sept bibliothèques patrimoniales et de recherche du Caire, d’Alexandrie, de Beyrouth, d’Istanbul et de Jérusalem (une neuvième, SALT, les a rejoint en 2017) décidèrent de créer ce site, avec pour ambition commune de rendre compte de la permanence et de la richesse des échanges scientifiques, intellectuels et interreligieux au sein du Proche et Moyen-Orient et entre cette région et l'Europe.

« Bibliothèques d’Orient » est le résultat de cette ambition, confortée et renforcée par le conseil scientifique que j’ai souhaité réunir afin d’explorer le sujet dans toute son ampleur et sa complexité. Plus d'une vingtaine des spécialistes associés aux équipes de la BnF et des établissements partenaires ont ainsi contribué à constituer cette bibliothèque et à l’éclairer de leurs savoirs afin d’en faire une source de connaissance et d’inspiration pour tout un chacun, particulièrement pour les chercheurs, enseignants et étudiants, dont l’accueil s’inscrit au cœur des missions et des valeurs fondatrices de la Bibliothèque nationale de France ; plus largement, pour tous ceux qui souhaitent approfondir leur compréhension de cette région du monde, dans sa profondeur historique, pour mieux en saisir l’actualité.

Rassembler autant de richesses, au-delà de l’intérêt qu’il y a à constituer des ensembles documentaires et iconographiques cohérents, devient ici la promesse et l’occasion de recherches et de découvertes, telles celles que relatent Jacqueline Chabbi et Rémy Arcemisbéhère dans les pages qu’ils ont écrites pour ce site. Que « Bibliothèques d’Orient » ait pu, dès le moment fondateur de sa création, susciter de telles révélations et de telles envies d’établir des rapprochements, des comparaisons, des analyses nouvelles, est pour nous une grande satisfaction, un motif de fierté et un encouragement que nous envoie le monde de la recherche à poursuivre dans la voie ainsi ouverte.

Avec près de 7 000 documents en ligne à son lancement,  « Bibliothèques d’Orient » marque une première étape de travail. L’Orient dont il est question ici couvre, sur le plan géographique, le Levant étendu à l’Irak et à l’Arabie Pétrée, et sur le plan chronologique, un siècle et demi d’histoire, de 1798, avec l'Expédition de Bonaparte en Égypte - signant le premier acte de la présence européenne directe dans l’Empire ottoman exceptions faites des « Capitulations » - à 1945.

Les relations avec la France, des plus évidentes aux plus controversées, en constituent la toile de fond principale, qu’éclairent plus de quatre-vingt contributions écrites par des spécialistes reconnus mais aussi par de jeunes doctorants, toutes traduites en arabe et en anglais. Pour tenter de mieux les saisir, le site s’organise en sept thématiques. 

Le « carrefour » que constitue cet Orient est le premier de ces thèmes. Une large place y est faite aux lieux : les villes bien sûr telles Alexandrie ou Constantinople (Istanbul), mais également les lieux de passages, les voyages, les expositions universelles. La richesse de ses « communautés », ensuite, est illustrée par des albums et recueils exceptionnels de costumes orientaux conservés au Département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France et qui firent l'admiration des voyageurs occidentaux.

La découverte de l’Egypte antique, le développement de l’archéologie orientale, la connaissance des langues et des cultures orientales, sont par ailleurs autant de thèmes incontournables traités dans l’Orient des «savoirs». Les « imaginaires » complètent cet itinéraire, avec son architecture, ses photographes, ses Mille et Une Nuits et ses écrivains.

L’Orient, indissociable de la construction de l’Occident, devient également indissociable de l’histoire de la littérature française. C’est cette conception du voyage et de l’Orient que développe « l’Orient des écrivains » dirigé par Sophie Basch, et qu’illustrent les récits de Chateaubriand,  Lamartine, Nerval, Gautier, Flaubert, Gobineau, Loti, Barrès et, par ricochet, les romans et poèmes de Balzac, de Victor Hugo, d’Alexandre Dumas.

L’Orient des « religions » donne de son côté l’occasion de valoriser des textes fondateurs, uniques et rares. Le public y découvrira des manuscrits hébreux récemment numérisés dans le cadre d’une coopération d'envergure entre la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque nationale d’Israël, plusieurs corans, conservés au Département des Manuscrits, issus de collections prestigieuses, ou encore des ouvrages et objets qui illustrent la vie des chrétiens d’Orient.

Ce riche ensemble documentaire numérisé ainsi qu’une partie des ouvrages et objets qui le constituent ont été mis en lumière de manière exceptionnelle dans le cadre de l'exposition "Chrétiens d'Orient, 2000 ans d'histoire" présentée à l'Institut du Monde Arabe (IMA) du 26 septembre 2017 au 14 janvier 2018, puis au musée des beaux-arts de Tourcoing du 17 février au 5 juin 2018. Je remercie le Président de l'IMA, Jack Lang, et le Ministre de l’Action et des Comptes publics et Maire de Tourcoing, Gérald Darmanin, ainsi que leurs équipes, pour l’intérêt qu’ils ont témoigné à ce projet.

Le site « Bibliothèques d’Orient » poursuivra ensuite son aventure. Il s’étendra en s’enrichissant de nouveaux documents dès 2018, pour approfondir ou développer certaines thématiques pour l’heure encore trop peu présentes. La dimension collaborative de ce site permet aussi d'envisager de nouvelles contributions, notamment sur les questions politiques, confiées à Henry Laurens, pour compléter celles existantes sur la campagne d’Égypte, sur le traité franco-syrien de 1936 et sur l’essor des nationalismes.

Dans le même temps, de nouveaux documents seront numérisés dans les collections des partenaires actuels mais également dans celles de nouveaux partenaires français et étrangers, qui nous ont fait part de leur souhait de rejoindre cette belle aventure collective.

Projet de valorisation et outil de recherche, ce site veut également témoigner de la solidarité de la BnF envers des patrimoines aujourd’hui menacés. Il apporte une garantie de sauvegarde pérenne à l’ensemble des documents numérisés dans le cadre du projet, en utilisant les standards de qualité identiques à ceux que la BnF déploie pour les collections nationales. Mais en amont de la numérisation, c’est à un travail de restauration que la BnF a également prêté main forte. Après celle des manuscrits de Tombouctou, pour lesquels la BnF intervient depuis 2013 aux côtés de l’UNESCO, ce nouveau projet contribue à la sauvegarde d’un patrimoine religieux en péril en Irak et en Syrie. Deux recueils liturgiques syriaques des XIe et XVIIe siècles et deux évangéliaires des XIVe et XVIe siècles conservés au Liban ont ainsi été restaurés et numérisés avec le soutien financier de nos mécènes, la Fondation Total et Plastic Omnium, et le compagnonnage de l’Œuvre d’Orient.

Avec ce projet, la BnF et ses partenaires s’inscrivent ainsi pleinement dans leurs missions de coopération, de conservation et de recherche et concourent à la mise en œuvre de la Déclaration de la Conférence internationale sur la protection du patrimoine en péril d’Abu Dhabi du 3 décembre 2016 : « Miroir de notre humanité, gardien de notre mémoire collective et témoin de l’extraordinaire esprit de création de l’humanité, le patrimoine culturel mondial porte en lui notre avenir commun ».

C’est au demeurant dans cet esprit et avec conviction que la BnF a engagé son programme « Patrimoines partagés ». Sauvegarder davantage de documents exceptionnels, les rendre accessibles partout et à tous, mieux les comprendre à la lumière des recherches les plus récentes : telle est notre ambition, pour « Bibliothèques d’Orient » comme précédemment pour les projets déjà développés avec le Brésil, le Japon et la Pologne. Véritable collection numérique de la BnF, que nous avons imaginée pour sauver et  pour partager ces trésors, « Patrimoines partagés » offre avec « Bibliothèques d’Orient » son quatrième opus, dont je ne doute pas qu’il sera pour tous l’occasion de mille et un plaisirs.

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