Plusieurs monarques français se sont efforcés de développer cette industrie et d’introduire le savoir chinois. Les documents collectés par les jésuites en Chine au XVIIIe siècle, ainsi que par les membres de la Mission Lagrené (1843-1846) constituent un corpus considérable.
La soie - produit fini de la sériciculture et matière première pour la confection des soieries- était une marchandise lucrative.
On entend par sériciculture l’élevage du Bombyx (familièrement appelé ver à soie) et la culture du mûrier, dont les feuilles constituent la nourriture essentielle du premier. Avant la généralisation des filatures de la soie, les cultivateurs dévidaient chez eux les cocons qu’ils récoltaient.
A l’aube de notre ère, les soieries chinoises, d’une finesse remarquable, qui séduisaient les souverains et la noblesse de divers peuples, constituaient une marchandise appréciées dans les échanges sur la « Route de la soie », comme en témoigne un contrat d’achat de soie rapporté par Paul Pelliot de sa mission dans la région du Duhuang 敦煌 (Gansu). La grande valeur marchande de la soie incitait des souverains à introduire, à tous prix, cette industrie dans leur royaume. La sériciculture s’implanta dans le Midi de la France à la fin du XIIIe siècle, après être passée par Constantinople, et l’Andalousie.
La première manufacture des soieries, fondée à Tours sur l’ordre de Louis XI, fit appel à des artisans venus d’Italie. Henri IV entreprit de développer la sériciculture et demanda à l’agronome Olivier de Serres (1539-1619) de rédiger un manuel, lequel un chapitre est intitulé La cueillete de la soye par la nourriture des vers qui la font (1599). Au début du XVIIe siècle, grâce à ses remarquables progrès techniques, Lyon avait acquis la première place parmi les industries des soieries européennes, toutefois, il restait à produire en quantité suffisante de la soie brute de belle qualité.
Enquêtes menées par des jésuites en Chine
À la fin du XVIIe siècle, Louis XIV décida d’expédier en Chine une Mission française, à qui Colbert (1619-1683) attribuait le soin de faire sur les lieux « quantité d’observations, qui nous manquent pour la perfection des sciences et des arts ». En 1685, les cinq premiers, nommés par le souverain les « mathématiciens du Roi », débarquèrent à Brest et inaugurent presqu’un siècle d’échanges directs entre la Cour française et celle de Chine.
À son retour en France, le P. Le Comte (1655-1728) publia les premiers résultats de ces enquêtes dans les Nouveaux mémoires (1696-1698), lesquels donnaient un aperçu sur la fabrication et la consommation de la soie et des soieries en Chine. Puis, le P. Du Halde (1674-1743), dans la Description de la Chine, compilée à partir des rapports des jésuites, donna une description plus détaillée sur la sériciculture chinoise. On pouvait lire des extraits du Nongzheng quanshu 農政全書 ou Traité complet d’agriculture de Xu Guangqi 徐光啟 (1562-1633, baptisé Paul Xu) grâce à l’adaptation en français par le P. Dentrecolles (1664-1741). Des érudits français, tels L. Pomier, l’abbé Boissier de Sauvages (1710-1795), Vincent Dandolo (1758-1819), s’en inspiraient pour développer leurs connaissances séricicoles.
Vers le milieu du siècle des lumières, le P. d’Incarville (1706-1757) rédigea un mémoire, intitulé « Sur les vers à soie sauvages », d’après ses propres expériences et le savoir-faire chinois, lequel fut publié par le P. Cibot (1727-1780) dans Les Mémoires concernant les Chinois (1777). Il s’agit en fait de l’élevage en plein air d’un lépidoptère de la famille Saturiidae, qui devait beaucoup intéresser les chercheurs notamment du milieu du siècle suivant.
Création de l’« école séricicole française »
Après la disparition des jésuites à la Cour mandchoue, les échanges avec la Chine se firent rares. Il fallut attendre la signature du traité de Whampoa (Huangpu 黃埔, 1844) pour que la France renoue des relations officielles avec la Chine. Pendant toute cette période d’isolement, les savants français puisèrent leur savoir séricicole chinois dans les travaux des jésuites, ce qui leur permis de développer leur propre art séricicole.
À la fin des années 1820, Camille Beauvais entreprit certines expériences sur la culture du mûrier et l’éducation des vers à soie à la Bergerie impérial de Sénart (Seine et Marne). Beauvais, satisfait de ses résultats obtenus, suggéra au ministre de l’Intérieur de faire traduire les traités séricicoles chinois conservés en France. En 1837, Stanislas Julien (1799-1873) publia sa traduction sous le titre de Résumé des principaux traités chinois, pour laquelle il entretint une correspondance fréquente avec Matthieu Bonafous (1793-1852), directeur du jardin royal d’agriculture de Turin. La même année, toujours sur l’initiative de Beauvais, la Société séricicole fut créée à Paris, et devint un centre d’échanges.
Alors que l’on se félicitait du succès de la sériciculture française, les maladies des vers à soie se propageait. Au début des années 1840, les récoltes des cocons furent mitigées. La sériciculture française fut touchée par l’épidémie et, une décennie plus tard, celle-ci gagnait les pays voisins. Le ministre de l’Agriculture et du Commerce s’adressa à Guérin-Méneville (1799-1874) pour tenter de trouver des solutions au fléau. En 1867 Louis Pasteur (1822-1895) réussit à identifier la cause du mal (la pébrine et la flacherie) et inventa la méthode du « grainage cellulaire », grâce à laquelle on pouvait reproduire des œufs sains à l’aide de la microscopie.
Commerce de la soie et l’introduction des sciences séricicoles en Chine
En 1843, l’ambassade en Chine conduite par Théodose de Lagrené (1800-1862) fut doublée d’une délégation commerciale chargée de faire des recherches sur les débouchés des produits français et l’importation de matières premières et de se renseigner sur les techniques pouvant être utiles à l’industrie française.
D’abondant renseignements et documents relatifs à la soie entrèrent en France, notamment grâce au représentant de l’industrie de la soie et des soieries, Isidore Hedde (1801-1880). À son retour en 1846, on organisa des expositions publiques successivement à Paris (1846), Lyon (1847), St-Etienne (1848) et Nîmes (1849), lesquelles donnèrent lieu à la publication de divers catalogues. En 1848, le représentant de l’industrie du coton, Natalis Rondot (1821-1900), fit don à la Bnf d’un ensemble d’albums de dessins représentant le travail de la soie commandés à Canton. Aux yeux de Hedde, les outils chinois restaient dans « l’enfance de l’art ». Mais il appréciait « les méthodes perfectionnées d’éducation » des vers à soie du Jiangnan 江南 et attribuait à la supériorité des soieries chinoises à la très bonne qualité de la soie brute. L’importation de la soie chinoise ne se fit qu’après l’épidémie des maladies des vers à soie, mais elle progressait rapidement.
À la fin du XIXe siècle, les industriels français prêtaient beaucoup d’attention à la sériciculture chinoise. Plusieurs investigations furent entreprises, soient à l’initiation de Rondot, soit à la Chambre de commerce de Lyon. Des manuels français ainsi qu’un en italien, le Dell’Arte di Gouvernarer i Bachi da Seta par Dandolo, furent à leur tour traduits en chinois ; de dernier, sous le titre de Yidali canshu 意大里蠶書 (Livre des vers à soie italien, 1872), le fut à partir de la version anglaise.
Légende de l'image : Collection précieuse et enluminée des fleurs les plus belles et les plus curieuses qui se cultivent tant dans les jardins de la Chine que dans ceux de l'Europe.