Les Mille et une nuits

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Traduite d’un original persan, arabisée et modifiée, Les Mille et Une Nuits, ensemble narratif à strates multiples, entre durablement dans la culture occidentale par l’entremise d’Antoine Galland, son premier modeleur. Ses nombreuses facettes et sa variabilité questionnent l’idée même d’œuvre.

Le poète arabe commençait son ode par un voyage, une pérégrination entreprise à partir de traces laissées par le départ de la bien-aimée. Ses nombreuses étapes étaient autant de thèmes poétiques signifiants. L’histoire des Mille et Une Nuits, à l’instar de cette image, est un long voyage au départ de traces superposées. Ses diverses haltes suscitent bien des métamorphoses. Ses racines plongent dans l’Orient hindou. Son entrée dans le domaine arabe se fait entre la fin du VIIIe et le début du IXe siècle par la traduction d’un recueil persan, intitulé Mille Contes. Son contenu change et s’arabise, son titre modifié favorise les récits nocturnes et l'au-delà de mille nuits, mais son récit-cadre reste inchangé : dans celui-ci, Schéhérazade, la fille du vizir, parvient, grâce à ses récits, à guérir le sultan Schahriar de sa folie meurtrière au bout de presque trois ans. Les Mille et Une Nuits naît ainsi d’un cadre stable (la conteuse face au roi) et d’un principe plastique : raconter une histoire pour gagner une vie ou la survie. Leur association permet, selon les époques et les goûts, d’autres modifications. Mais l’anonymat de l’œuvre, ses divers niveaux de langue, et la prépondérance de la fiction l’écartent du canon de la littérature arabe classique, fondé sur des critères bien différents. Cette exclusion n’empêche ni son enrichissement ni sa circulation : les Nuits devient progressivement plus qu’une œuvre, un vaste ensemble de textes fondé sur l’acclimatation, l’acculturation et le mélange des genres. Et, selon les plus récentes recherches, sa présence en manuscrits dans de nombreuses bibliothèques de l’Orient parle éloquemment du vif intérêt qu’il suscita.

Au début du XVIIIe siècle, ce voyage se poursuit en Occident par l’entremise d’Antoine Galland. Cet ancien chargé de mission en Orient, savant intègre et érudit, commence par traduire les aventures de Sindbad, qui ne relèvent pas des Mille et Une Nuits, mais qu’il y incorporera. Il poursuit par les contes des Nuits eux-mêmes, qui divertissent ses veillées, en s’appuyant sur plusieurs manuscrits, dont celui, incomplet et en trois volumes, qui porte aujourd’hui son nom. Lorsque ses manuscrits s’arrêtent, il les complète en travaillant sur les canevas des récits relatés par Hanna Dyâb, chrétien maronite originaire d’Alep, dont naissent, entre autres, les célèbres Aladdin et Ali Baba. Composées entre Orient et Occident, les Nuits s’impose dès lors avec une nouvelle vigueur. La version Galland en douze volumes (1704-1717), confiée au départ à la librairie Barbin, croise la vogue des contes des fées, promue par Barbin, et finit par acclimater en Occident le recueil arabe, objet d’un véritable engouement. Il en naît le genre du conte oriental, illustré par les nombreux concurrents et continuateurs de Galland, tels François Pétis de La Croix avec Les Mille et Un Jours (1710-1712), Thomas-Simon Gueullette et ses Mille et Un Quarts d’heure, Contes tartares (1715), Jacques Cazotte et dom Chavis avec Suite des Mille et Une Nuits (1788-1789). La parodie confirme ce succès, entre autres, avec Les Mille et Une Fadaises, Contes à dormir debout de Jacques Cazotte (1742).

La version de Galland fait date pour plusieurs raisons. Son faire complexe retrouve le mode de composition ancien des Mille et Une Nuits, où traduction, adaptation, compilation et invention se rejoignent. Bien plus qu’un traducteur, Galland est le modeleur et l’agenceur d’une œuvre désormais reconnaissable à ses récits canoniques et qui, sans lui, ne serait sans doute jamais sortie de l’ombre. Il redore le blason d’un recueil jugé suspect et frivole, et l’impose en Occident comme en Orient. Ce faisant, il modifie le genre censé représenter la littérature arabe : à la poésie, prisée jusque-là, il substitue la fiction narrative. Plus encore, sa version fait figure de matrice aux XVIIIe et XIXe siècles : c’est à partir d’elle, et non de l’arabe, que Les Mille et Une Nuits est traduit dans les principales langues européennes. Et même lorsque les traductions à partir de l’arabe lui font concurrence, comme c’est le cas en Grande-Bretagne, c’est la traduction anglaise de Galland qui aura la faveur des lecteurs pendant longtemps. Enfin – et ce n’est pas là son moindre mérite –, son texte elliptique, prudent, évasif, fait de l’Orient un mythe coloré et voluptueux.

Le motif de ‘La Mille et Deuxième Nuit’ s’appuie sur Galland. Sous prétexte de raconter le lendemain des Nuits, ce riche filon littéraire, toujours vivant, entretient un rapport complexe à l’ensemble. La Mille et Deuxième Nuit de Théophile Gautier (1842) en développe surtout le versant critique et métalittéraire grâce à une Schéhérazade, peu tendre pour Galland, qui cherche désespérément à Paris un nouveau conte.

Un grand nombre de rééditions contribue à la gloire de Galland. Des images renforcent sa popularité. Ces livres sont même profusément illustrés, comme l’édition Bourdin (1838-1840) en trois volumes, préfacée par l’orientaliste Antoine-Isaac Silvestre de Sacy. La première version de la nouvelle de Gautier, savamment illustrée, entre en concurrence avec l’édition Bourdin.

Cette popularité est encore consolidée par une foule d’adaptations pour un éventail de publics. Ali Baba et Aladdin, contes pourtant ajoutés au corpus des Nuits, sont les plus prisés.

Ali-Baba, ou les Quarante voleurs, mélodrame à spectacle de René-Charles Guilbert de Pixérécourt fait un succès honnête à la Gaîté en 1822. Pourtant, deux des scènes les plus saisissantes du conte, la couture du cadavre de Cassim et la danse des poignards, en ont été écartées au profit des pièges et conspirations du genre, ainsi que de la ruse féminine. Histoire de l’éducation d’un garnement, Aladdin se prête au livre pour enfants : l’éditeur Charles Letaille l’introduit, tout comme Ali Baba, dans sa «Bibliothèque du jeune âge ou lectures amusantes», orné de vignettes découpées, posées sur un pied, imprimées en sépia, qui accompagnent la lecture. Mais il abrège le texte et en accentue la portée religieuse, faisant de la lampe le symbole de la lumière divine elle-même. Les lectures d’agrément ne sont pas en reste : Les Mille et une nuits racontées à Bébé de Théodore Lefèvre (1833-1904), qui publie la collection «Bibliothèque de Bébé» sous le pseudonyme féminin de Mme Doudet, réussit à contenir en 48 pages sept contes des Mille et Une Nuits fortement abrégés, sous cartonnage illustré avec des illustrations coloriées au pochoir, œuvre de nombreux artistes.

«Qui veut en finir avec l’illusion ?», se demande Ernest Laboulaye, prêt à écouter des contes pendant deux mille nuits. Cet homme politique et historien du droit, professeur au Collège de France, ne bouda pas la fiction arabe. Son Abdallah ou le trèfle à quatre feuilles (1859), qui inspira au Suédois Frank Heller une Mille et Deuxième Nuit (Den tusen och andra natten, en arabesk, 1923), connut de nombreuses rééditions, certaines augmentées d’autres contes des Nuits.

De ces voyages naît une bibliothèque variée, fondée sur Galland. Elle fit les délices des lecteurs pendant deux siècles, avant d’être éclipsée par Le Livre des Mille Nuits et Une Nuit du Dr Joseph-Charles Mardrus (1898-1904), lui aussi au départ d’un épisode culturel orientaliste majeur en Occident.

Ce ne sont là que quelques aspects d’un parcours complexe et d’un phénomène à multiples facettes. Car Les Mille et Une Nuits illustre aujourd’hui la notion de littérature mondiale et défie les notions usuelles d’œuvre, de réception ou de traduction. À l’intérieur d’un récit-cadre reconnaissable, les récits varient et se modifient, reflet des époques, des contextes, des sociétés, des usagers et des lecteurs.

 

Légende de l'image : Les mille et une nuits : féerie en trois actes et trente et un tableaux par Philippe Chaperon. Paris : Théâtre du Châtelet, 14-12-1881 par Philippe Chaperon.

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