Les premières traductions françaises de romans chinois

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L’orée du XVIIIe siècle marque le début d’une longue et chaotique découverte du roman chinois en langue vulgaire.

C’est aux missionnaires jésuites du Siècle des Lumières qu’ils ont irrigué de leurs écrits que l’on doit d’avoir amorcé ce mouvement en livrant les premières traductions d’un recueil de contes qui ne sera rendu dans son intégralité qu’un peu moins de trois siècles plus tard.

Un essai avorté

On doit pourtant la première tentative de faire passer l’imaginaire romanesque chinois dans notre langue à un Chinois, Huang Risheng 黃日升(1679-1716), alias Huang Jialüe 黃嘉略, plus connu sous le nom d’Arcade Hoang. Arrivé en France en 1702 pour devenir interprète du Roi Soleil, mais aussi informateur de Montesquieu (1689-1755), il établit, entre autres, le catalogue des livres chinois de la Bibliothèque Royale et fournit les bases d’un dictionnaire de caractères. Il ne devait parvenir à traduire que les trois premiers chapitres du Yu Jiao Li 玉嬌梨, roman sentimental qui sera repris plus tard par les premiers sinologues dignes de cette appellation, Jean-Pierre Abel Rémusat (1788-1832) et Stanislas Julien (1797-1873). L’abandon du projet initié par son ami et élève Nicolas Fréret (1688-1749), doit sans doute beaucoup à la mort de son épouse, mais aussi à Étienne Fourmont (1683-1745) qui contribua à minimiser l’œuvre de ce pionnier pour s’en octroyer les mérites. On était alors en 1715.

Les Chinois par eux-mêmes

Dans leur volonté de comprendre les Chinois à travers leurs écrits, les missionnaires jésuites firent feu de tout bois sans négliger les genres pourtant méprisés dans leur environnement d’origine, comme le théâtre de la dynastie Yuan (1279-1368), avec un abrégé détaillé d’une pièce qui inspira à Voltaire (1694-1778) son Orphelin de la Chine (1755), et le conte en langue vulgaire de la fin des Ming (1368-1644). On trouve la trace de cette curiosité poussée par la volonté de montrer la Chine sous un jour moral dans la monumentale Description de la Chine que publia en 1735 le Père Du Halde (1674-1743). Elle reprend dans son troisième tome (p. 292-328) les pâles résumés de trois contes d’une anthologie qui n’avait cessé d’être réimprimée depuis sa mise en circulation vers 1635, survivant ainsi à plusieurs vagues de proscription et éclipsant même, pour longtemps, jusqu’au souvenir de ses sources.

Les Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois

Devenu au fil du temps un classique du genre, Jingu qiguan今古奇觀ou Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois offrait au traducteur, le Père Dentrecolles (1664-1741), résidant en Chine de 1698 jusqu’à sa mort, une riche matière, soit quarante récits puisés dans cinq recueils de même taille publiés entre 1620 et 1632. Le missionnaire, ou bien son éditeur parisien, ne retint pourtant que les contes 20, 29 et 31 qui, une fois allégés et remodelés pour apparaître sous la forme de quatre textes indépendants pourvus de titre en accentuant l’aspect édifiant, étaient jugés capables de « réformer les mœurs » et de porter « à la pratique de quelque vertu ».

Voltaire, Rémusat et les autres

Dès 1746, on commença à retrouver les versions imparfaites de Dentrecolles, parfois passablement modifiées, dans plusieurs publications exploitant le goût naissant pour les contes exotiques, mais aussi dans des ouvrages plus ambitieux tel les Contes chinois (1827) édités par Abel Rémusat. Celui mettant en scène le grand penseur Zhuangzi 莊子(ive siècle av. J.-C.) qui éprouve la fidélité post mortem de son épouse, aura encore plus de succès puisqu’il va être lu comme une version chinoise de « La Matrone d’Éphèse » du Satyricon de Pétrone. Il inspira notamment à Voltaire le « Nez » de son Zadig (1747), mais aussi une indulgente comédie-ballet à Pierre-René Lemmonier (La Matrone chinoise ou l’Épreuve ridicule, 1764), comme une nouvelle, « L’Éventail de deuil » (Fleurs d’Orient, 1893), à Judith Gautier (1845-1917). Malgré leurs défauts, ces premiers essais avaient mis l’accent sur un recueil qui sera régulièrement visité par tous ceux qui marquèrent l’histoire de la réception du roman chinois en France : lorsque paraît en 1996 la traduction intégrale qu’en donna Rainier Lanselle pour la « Bibliothèque de la Pléiade », 30 contes du recueil ont déjà été plus ou moins heureusement rendus par une vingtaine de traducteurs, soit directement, soit à partir des sources anciennes.

Une perle bien cachée

La part extrêmement marginale donnée dans La Description de la Chine au roman, où il est pourtant envisagé comme une matière hautement « instructive », a pu être récemment réévaluée grâce à l’identification de la source d’un « Dialogue où un Philosophe chinois moderne nommé Tchin, expose son sentiment sur l’origine et l’état du monde » également reproduit dans le tome 3 (p. 42-64). Bardé de commentaires accusateurs, un extrait du douzième et dernier récit du Doupeng xianhua  豆棚閒話 ou Propos oisifs sous la tonnelle aux haricots est ainsi mis à profit par Dentrecolles pour tourner en dérision l’original, qui n’est pas un essai de philosophie comme on s’y attendrait, mais une aimable discussion un rien décalée et iconoclaste comme en propose ce représentant tardif du genre, vraisemblablement publié vers la fin des années 1660.

On reconnaîtra au passeur jésuite d’avoir fait de son mieux pour faire sentir quelque chose de l’esprit chinois sans pourtant se rendre compte qu’il s’attaquait à une littérature dont le but premier était peut-être plus le divertissement que l’édification morale.

Légende de l'illustration : 今古奇觀 Jin gu qi guan. Merveilles de l'antiquité et des temps modernes.

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