Segalen, romancier et poète

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Disparu à l’âge de 41 ans il y a un siècle, Victor Segalen conquiert progressivement sa place parmi les grands écrivains du XXe siècle.

Médecin

Né à Brest en 1878, sa myopie l’empêche d’entrer dans la marine. Mais il entre tout de même, en 1898 à l’École de santé navale à Bordeaux. En tant que médecin, il se distingue par son engagement : arrivé à Tahiti, il inspecte l’archipel des Tuamotu ravagé par un cyclone (janvier 1903) ; de Pékin, il se rend en Mandchourie pour soigner les Chinois affectés par la peste (janvier-février 1911) ; durant la Grande guerre, il soigne les blessés à Brest (août 1915), puis tente de sauver les malades atteints de la grippe espagnole à partir de septembre 1918.

Voyageur

Trois voyages effectués dans le cadre de sa carrière vont compter. Tout d’abord Tahiti où il est affecté (janvier 1903-septembre 1904), et les îles Marquises où il fera la rencontre, posthume, de Gauguin (août 1903) (Gauguin dans son dernier décor, Le Maître-du-jouir). Puis la Chine, à travers trois expéditions : il profite de son séjour à Pékin en tant qu’élève-interprète de la Marine, prolongé par des activités médicales (mai 1909-juillet 1913), pour effectuer une première traversée du pays en compagnie de son ami Augusto Gilbert de Voisins (mai 1909-janvier 1910) ; entre février et août 1914, il conduit une mission archéologique, la  “Grande Diagonale”, à laquelle participent Voisins ainsi qu’un autre ami proche, officier de marine, Jean Lartigue ; enfin, entre février et juillet 1917, il séjourne de nouveau à Shanghai et Nankin, afin de recruter des travailleurs chinois au nom du Ministère de la guerre. Ces expériences donnent lieu à un anti-récit de voyage : Équipée. Les déplacements de Segalen l’amènent à tenir des journaux (Briques et Tuiles, puis Feuilles de Route), ainsi qu’une abondante Correspondance.

Archéologue

Deux de ses voyages permettent à Segalen d’accomplir un travail d’archéologue.

                                                                                 Photo représentant un groupe de personnes dont Segalen sur un site archéologique
Équipe de fouille autour de Victor Segalen et de Augusto Gilbert de Voisins, Mission archéologique 1914, Zhaohuaxian, tombe de Baosanniang ou Dame Bao, 2 ou 3 avril 1914

La mission de 1914, dont Lartigue publie un compte rendu en 1923-1924 et en 1935, permet en particulier d’identifier, notamment dans la région de Xi’an, de nombreux tombeaux antiques, dont celui du premier empereur Qin Shi Huangdi  (mort en 221 avant Jésus-Christ). La mission de 1917 lui laisse le temps de compléter ses investigations dans la région de Nankin.

Critique d’art

Plus que dans les comptes rendus scientifiques, c’est dans Chine. La grande statuaire que Segalen développe une œuvre de “vision” où l’appréciation esthétique s’accompagne d’une méditation sur la mort. Critique d’art, Segalen l’est aussi dans de nombreux autres écrits, portant sur Rimbaud, Gauguin ou Gustave Moreau (Premiers Écrits sur l’art).

Romancier

Malgré son aversion pour la forme romanesque qu’il juge grossière, Segalen publie, outre Le Maître-du-Jouir, trois romans qui, chacun à sa manière, renouvelle le genre : Les Immémoriaux (1907), relatent du point de vue des Tahitiens la conquête de la Polynésie par les Européens ; René Leÿs, roman parodique à plusieurs titres, fait entendre une voix intime, et propose une réflexion sur la fiction ; Le Fils du Ciel tente de restituer, du dedans, le règne déclinant de l’avant-dernier empereur de Chine.

Homme de théâtre

Deux pièces écrites par Segalen sont issues d’une collaboration, malheureusement inaboutie, avec Claude Debussy : Siddhârtha, drame retraçant la vie de Bouddha, puis Orphée-Roi. Segalen entreprend aussi de réécrire la pièce de Claudel intitulée Le Repos du septième jour : il s’agit du Combat pour le sol.

Poète

L’œuvre-maîtresse de Segalen est sans doute le recueil qu’il a fait paraître en 1912, puis, complété, en 1914, intitulé Stèles, qui propose un parcours distribué en six directions — sud, nord, est, ouest, auxquels sont ajoutés le “milieu”, considéré comme un point cardinal en Chine, et le “bord du chemin” —, et effectué à la fois dans une Chine nourrie par les lectures et l’expérience de l’écrivain-voyageur et dans l’intériorité, tantôt sombre tantôt solaire, du poète. En pleine guerre, comme une provocation, Segalen publie Peintures (1916), qui fait entendre la voix d’un “bonimenteur” proposant des échos poétiques de peintures ou d’objets d’art, le plus souvent rêvés. Deux autres recueils, aux résonances spirituelles, sont encore consacrés à la Chine : Odes et Thibet.

Penseur

Dans des notes collectées en vue d’un Essai sur l’exotisme, Segalen développe une pensée qu’il est difficile de résumer d’un mot, mais dont la notion centrale est le Divers, entendu à la fois comme l’expérience du réel dans sa diversité et comme une exigence de l’expérience esthétique : l’objet est d’autant plus beau qu’il se situe à l’écart du sujet.

Postérité

Depuis la mort de Segalen, survenue en mai 1919 dans des circonstances encore sujettes à controverse, son œuvre fait l’objet d’un travail de mise au jour continu. Une partie en sera publiée dans la collection de la Pléiade. Les œuvres complètes sont en cours de publication, sous forme d’éditions critiques, chez Honoré Champion.

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