La Mission de Phénicie par Ernest Renan. 1864-1874

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Dans le cadre des missions scientifiques du Second Empire, Ernest Renan dirige une expédition archéologique au Liban, en Syrie et en Palestine, sur les traces de l’antique peuple des Phéniciens.

Le 9 octobre 1857, Ernest Renan présente à l’Académie des inscriptions et belles-lettres (où il avait été élu l’année précédente, à la place qui fut d’Augustin Thierry), un Mémoire sur l’origine et le caractère véritable de l’histoire phénicienne qui porte le nom de Sanchoniathon. Dans une note de cet essai érudit, il formule l’espoir que des fouilles sur les lieux de l’ancien culte phénicien puissent un jour faire émerger les témoignages épigraphiques des anciennes cosmogonies du pays de Chanaan, exposées dans l’œuvre de Sanchoniathon.

Trois ans plus tard, grâce à l’entremise d’Hortense Cornu (amie d’enfance de l’empereur et marraine des entreprises scientifiques du Second Empire), Napoléon III charge le jeune savant d’une mission archéologique à la recherche des vestiges de l’antique Phénicie.

Accompagné da sa sœur Henriette, en qualité de secrétaire, Ernest Renan débarque à Beyrouth le 21 octobre 1860. Pendant les six premiers mois, il organise quatre campagnes de fouilles en investissant les centres principaux de la civilisation phénicienne: Jbeil (Byblos), Tartous et l’île d’Arouad (Arados), Saïda (Sidon) et Sour (Tyr). L’équipe était formée par Charles Gaillardot, un docteur français établi depuis longtemps en Syrie, qui assure la direction des fouilles et dessine les cartes, le journaliste Edouard Lockroy, qui s’occupe des photographies et l’architecte-inspecteur de la Bibliothèque Impériale M. Thobois, chargé de la réalisation des plans. Le corps expéditionnaire français, envoyé par Napoléon III à protection des chrétiens d’Orient après les massacres de 1860, fournit un précieux appui logistique et matériel.

En avril, Renan et Henriette partent pour un séjour en Palestine : ils visitent le Mont Carmel, Haïfa, Naplouse, Jérusalem, Hébron, Jaffa, Nazareth, Tibériade. Ils visitent aussi le haut Liban, en remontant la vallée de l’Adonis, arrivant jusqu’à Baalbek, l’ancien Héliopolis.

Ce voyage au berceau de l’histoire chrétienne est la source d’une puissante inspiration pour la Vie de Jésus, que Renan commence à rédiger sitôt rentré à Ghazir, un village de l’arrière-pays entre Beyrouth et Jbeil où il s’arrêtera plus d’un mois. Il écrit à son ami Marcellin Berthelot :

« J’ai réussi à donner à tout cela une marche organique, qui manque si complètement dans les Évangiles. Je crois que pour le coup on aura sous les yeux des êtres vivants, et non ces pâles fantômes sans vie : Jésus, Marie, Pierre, etc., passés à l’état abstrait et complètement typifiés. J’ai essayé, comme dans la vibration des plaques sonores, de donner le coup d’archet qui range les grains de sable en ondes naturelles. »

Le départ des troupes françaises au cours de l’été 1861 oblige Renan à arrêter les fouilles et préparer l’expédition des pièces archéologiques. En juillet, sa sœur Henriette contracte une fièvre paludéenne qui ne la quittera plus : elle meurt le 24 septembre. Renan, touché par le même mal, est rapatrié en urgence le 10 octobre.

Les résultats matériels des fouilles furent loin des attentes, aussi à cause des événements qui écourtèrent la mission : très peu d’inscriptions phéniciennes, quelques inscriptions grecques et égyptiennes, des sarcophages, des stèles et des reliefs presque tous anépigraphes. Parmi les découvertes majeures, le sanctuaire et la nécropole d’Amrit, près de Tartous.

Une volumineuse publication de l’Imprimerie impériale – deux tomes parus par livraison de 1864 à 1874 : un in-folio de 884 pages et un grand in-folio de 70 planches – recueillera les résultats de la mission. Malgré un certain « héllenocentrisme », qui porte souvent Renan à dévaluer l’art phénicien (« art d’imitation », « avant tout industriel », qui « ne s’éleva jamais, pour les plus grands monuments publics, à un style à la fois élégant et durable »), cet ouvrage posera les bases pour les explorations successives et restera, pendant plus d’un demi-siècle,  « le principal traité d’archéologie phénicienne » (René Dussaud).

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