L'École des Jeunes de Langue : à l'origine des dynasties de drogmans

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Dans les échelles du Levant, les drogmans, truchements ou interprètes, constituaient le rouage indispensable des relations entre les Français qui s'y étaient établis et les autorités ottomanes en raison de la barrière de la langue.

Le manque de fiabilité des drogmans indigènes amena Colbert à créer l’École des enfants de Langues en 1669. Les élèves étaient dans un premier temps formés à Paris au Collège Louis-Le-Grand tenu par les Jésuites. À vingt ans, la formation s’achevait à Istanbul, toujours sous la houlette des Jésuites. L’accès à cette formation était ouvert aux fils de négociants ou de drogmans. Ainsi de véritables dynasties de drogmans virent le jour. En 1762, l’expulsion des Jésuites se traduisit par l’effondrement du niveau de la formation au point qu’il fut envisagé de  supprimer l’école à la fin de l’Ancien Régime. Elle végète sous la Révolution et l’Empire. Toutefois, grâce à l’enseignement de professeurs renommés, elle connaît un regain de prestige entre 1820 et 1830, puis vivote jusqu’en 1893. La création de l’École des Langues Orientales en 1795 par la qualité de son enseignement lui a porté un coup fatal.

Certains drogmans comme Venture de Paradis connurent une carrière remarquable. Pierre-Jean-Marie Ruffin appartenait à ce groupe. Ce dernier, était le fils d’un drogman tué au service des intérêts français. Né en 1742, il intègre l’École des enfants de Langues à Paris en 1750 et passe en 1758 à Istanbul. En 1767,  il est nommé drogman en Crimée par Vergennes et accompagne le baron de Tott dans sa mission dans la région et suit les campagnes de la guerre russo-turque. De retour en France, Ruffin retourne à Istanbul comme premier drogman  de  France officieux, officiellement toujours drogman de Crimée et négocie avec la Porte sur ordre de Saint-Priest. Appelé en France, il devient secrétaire interprète du roi et assure toute la correspondance avec l’Orient. En 1784, il est nommé professeur au Collège Royal, chaire qu’il conserve jusqu’en 1822. Il est anobli et décoré du cordon de Saint Michel pour services  rendus. Il est inquiété sous la Terreur et en 1793, il est nommé premier secrétaire de la légation française et premier interprète. Ruffin était accompagné de son gendre et de sa fille. Par l’intermédiaire de celle-ci, il était en contact avec le harem dont l’influence sur le sultan était importante. Ruffin obtient divers avantages comme la protection de la France sur les catholiques d’Orient. Lors de l’expédition d’Égypte, il est emprisonné au Château des Sept Tours comme d’autres Français et libéré lors de l’évacuation de l’Égypte. La France est rétablie dans tous ses droits,  grâce à Ruffin. Celui-ci était très estimé par les dignitaires ottomans et ses collègues diplomates étrangers. A ce titre, il reçoit la Légion d’honneur en 1804. En 1806, il obtient que le sultan reconnaisse à Napoléon le titre d’Empereur. En 1807 la Turquie résiste aux ultimatums anglais. En 1814, la monarchie restaurée envisage de le rappeler en France, après l’épisode des Cents Jours. Louis XVIII confirme  en 1819 son appartenance à l’ordre de Saint Michel et ses fonctions de secrétaire interprète du Roi et de conseiller à l’ambassade de France à Istanbul,  où il resta jusqu’à sa mort en 1824. Il fut inhumé  avec les honneurs des autorités ottomanes et des autres légations étrangères.

Jean-Michel de Venture de Paradis est né le 8 mai 1739 à Marseille dans une famille de diplomates et de militaires. Après ses études au Collège Louis le Grand et son stage à Istanbul, il occupe divers postes en Syrie, Égypte, Maroc, Tunisie, Algérie. Il fut également l’interprète du baron de Tott lors de son inspection des Échelles. Il fut enfin secrétaire interprète de l’ambassade de France auprès de la Porte. En 1797, il est à Paris en tant que titulaire de la chaire de turc à l’École des Langues  Orientales. Interprète militaire de l’Armée d’Orient en Égypte, il meurt à Acre ou à Nazareth de la peste ou de la dysenterie en avril ou mai 1799, on ne le sait pas.

La plupart des drogmans ont connu une carrière beaucoup moins prestigieuse que celle de Ruffin ou Venture de Paradis. Toutefois, leur action était indispensable à la bonne marche de la communauté française de l’Échelle. Le drogman était l’intermédiaire indispensable entre les autorités ottomanes et le consul. Non seulement il faisait office de traducteur, mais il assistait les sujets français devant le cadi lors d’un procès. Il pouvait aussi enquêter hors du consulat pour vérifier le fondement d’une plainte contre un pacha. Les drogmans étaient les premiers à subir la violence des pachas courroucés qui n’était pas toujours feinte. Certains drogmans furent battus ou même jetés en prison. Les intérêts convergents de la France et de l’Empire ottoman et la qualité des drogmans français ont favorisé l’essor de la francophonie dans l’Empire ottoman notamment dans l’administration au moment des Tanzimats.

Légende de l'illustration : L'ambassadeur de France avec son drogmans ou interprète. 1778-1882

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