Christianisme

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Au cœur du monde arabe, le Machreq, « l’Orient » – un espace géographique couvrant l’Égypte, la Syrie, la Palestine et Israël, le Liban, la Jordanie et l’Irak –, est la région où est né le christianisme et où il connut sa première expansion. Les Églises du Proche-Orient ont gardé la diversité non seulement liturgique mais aussi théologique des origines.

Le christianisme primitif était riche de sensibilités diverses, elles-mêmes héritières de l’hétérogénéité du judaïsme en lequel s’enracinait la foi nouvelle. Au IVe siècle, l’institutionnalisation des Églises dans le cadre de l’empire romain, a permis l’émergence d’une orthodoxie qui s’est définie au concile de Nicée (325), non sans que se raidisse le discours théologique. À mesure que le christianisme devenait religion d’État (statut acquis en Orient dès 380, avec l’arrivée au pouvoir du l’empereur nicéen Théodose), la diversité première est devenue source de schismes. Après les conciles d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451), des écoles théologiques développant des christologies divergentes ont donné naissance à des familles désormais opposées. Les aléas de l’histoire postérieure, notamment les ingérences occidentales, ont encore accentué ces divisions. De sorte qu’on peut distinguer :

  • Les Églises « chalcédoniennes », dites aussi autrefois « melkites » (du syriaque malkô, « le roi », car elles étaient fidèles à l’empereur byzantin), confessent la foi de Chalcédoine dans la dualité de nature et l’unité de personne du Christ, fils de Dieu, Sauveur né de la Vierge Marie, vénérée à cet égard comme « Mère de Dieu ». Majoritaires en Syrie-Palestine (patriarcats d’Antioche et de Jérusalem), les melkites devinrent un tout petit nombre en Égypte (patriarcat d’Alexandrie). Au XIe siècle, ces Églises furent entraînées par Constantinople dans le schisme qui, en 1054, causa la fracture avec Rome. Ayant adopté progressivement la liturgie byzantine, elles font aujourd’hui partie de ce qu’on appelle les Églises « orthodoxes ».
     
  • Les Églises jadis appelées « monophysites » (les Coptes en Égypte, les Éthiopiens, les Arméniens, les Syriaques) sont héritières d’une anthropologie selon laquelle l’unité de la personne de Jésus est si parfaite qu’on ne peut plus parler en lui, après l’incarnation, d’une nature humaine et d’une nature divine mais d’une seule nature (en grec : monè physis) divino-humaine.
     
  • L’Église dite « nestorienne » (car elle est fidèle à la mémoire de Nestorius, patriarche de Constantinople condamné à Éphèse) ou, depuis le XIXe siècle, « assyrienne », Église des chrétiens d’Irak et d’Iran, est tributaire de l’école d’Antioche, attentive à affirmer l’humanité et la divinité de Jésus, sans confondre les deux, sans non plus les dissocier. L’épithète de « Mère de Dieu », attribuée à Marie, lui semblait ouvrir la porte à une sorte d’occultation de l’humanité de Jésus.
     
  • À partir du XVIe siècle, des Églises orientales catholiques sont nées du ralliement à Rome de fidèles non chalcédoniens ou melkites : se sont ainsi constituées des Églises « uniates » : copte catholique, syrienne (ou syriaque) catholique, chaldéenne catholique (issue de l’Église nestorienne), arménienne catholique, melkite catholique (qui a conservé le nom « melkite, abandonné par son Église mère « orthodoxe »). Elles ont subi des influences liturgiques ou théologiques latines plus ou moins prononcées. Un cas particulier est celui de l’Église maronite (Liban, Syrie, Chypre), qui considère avoir toujours été unie à Rome sans avoir été détachée d’une Église « orthodoxe ».
     
  • Rome a en outre établi au Proche-Orient des communautés « latines » dès l’époque des croisades. Ce mouvement a repris vigueur au XIXe siècle, avec la création du patriarcat latin de Jérusalem (1847).
     
  • Dans le même temps, et concurremment, diverses communautés protestantes ou anglicanes se formèrent dans pratiquement tous les pays de la région.

À l’époque de la conquête arabe, au VIIe siècle, les chrétiens constituaient la quasi-totalité de la population du Proche-Orient. Leurs divisions ont eu leur part dans la rapidité avec laquelle les conquérants ont imposé leur domination. Celle-ci n’a néanmoins pas entraîné l’islamisation ni l’arabisation rapide de ces contrées. Longtemps, les populations locales sont restées majoritairement chrétiennes et ont continué à parler leurs langues ancestrales (le copte en Égypte, les différents idiomes araméens dans l’espace syro-mésopotamien). Toutefois, elles ont aussi adopté l’arabe à partir du Xe siècle, ce qui  a donné naissance à une littérature arabe chrétienne spécifique. Bientôt, l’arabe finit même par trouver sa place dans la liturgie. Ce processus d’arabisation a fini par faire mourir les antiques idiomes ou les réduire à l’état de reliques. C’est donc tout naturellement que s’est développée, notamment en raison des questions spécifiques que soulevait le dialogue avec l’islam, une théologie chrétienne « arabe » aux accents particuliers. Les chrétiens furent en première ligne de tous les combats des Arabes : la nahda, renaissance de l’identité culturelle arabe dans l’empire ottoman, la lutte contre le colonialisme occidental, l’arabisme politique, l’opposition à l’État sioniste et la défense des droits du peuple palestinien, etc.

C’est en raison de facteurs politiques, économiques, culturels et, secondairement religieux complexes que la majorité des habitants autrefois chrétiens du Proche-Orient se sont convertis à l’islam. Un processus qui fut lent et n’alla jamais jusqu’à la disparition totale des chrétiens. La société musulmane traditionnelle permet aux non-musulmans (les dhimmis) de pratiquer leur religion. Certes, plus l’islam devint prédominant, plus la situation des chrétiens désormais minoritaires se dégrada : ils subirent de temps à autre de graves discriminations et violences, mais ce fut sporadiquement. Très rarement furent-ils victimes de tentatives d’éradication. Les échanges culturels entre chrétiens et musulmans furent riches, et connurent un âge d’or du IXe au XIIIe siècle, tant en Égypte, qu’en Syrie ou en Mésopotamie.

C’est surtout à partir du XIVe siècle que le nombre des chrétiens a commencé à décroître très significativement au Moyen-Orient. Une certaine coercition musulmane a eu sa part dans le phénomène, mais il est faux de le ramener à cette seule dimension. La décroissance n’a en outre pas été constante : sous l’empire ottoman, du XVIe au début du XXe siècle, les communautés chrétiennes du Levant on même connu un regain démographique.

Le XXe siècle, pour sa part, a vu la proportion des chrétiens du Machreq (qui représentaient entre 10 et 15 % de la population totale du Proche-Orient arabe vers 1900) diminuer considérablement, jusqu’à atteindre l’étiage actuel (6 et 8 %). Ils sont cependant plus nombreux en chiffres absolus (une dizaine de millions), qu’ils ne l’étaient il y a cent ans (moins de 2 millions). Leurs communautés sont plus vivantes et plus ouvertes sur la modernité. Toutefois, elles souffrent du mal être général des sociétés arabes, dont les causes sont multiples : instabilité chronique de la région générée par le conflit israélo-arabe, impossibilité corollaire du développement de vraies démocraties citoyennes, cadenassage des sociétés par des régimes dictatoriaux et prédateurs, en partie la cause de la montée en puissance de l’islamisme. Celui-ci a, depuis les années 1970, exacerbé le sentiment de précarité éprouvé par les chrétiens, qui se trouvent confrontés à un projet socio-politique dont ils seraient exclus. Beaucoup d’entre eux choisissent en conséquence le chemin de l’exil. Les crises accrues que connaît le monde arabe depuis le début du troisième millénaire et les dérégulations sociales qui ont suivi le « printemps arabe », entraînant notamment le délitement de l’Irak et de la Syrie, et une grave fragilisation de l’Égypte, assombrissent les perspectives d’avenir pour ces communautés.

Légende de l'image : Volume de peintures illustrant la vie de Jésus, avec légendes en syriaque et en arménien. XVIe s.

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