Archéologie - Introduction complète

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L’archéologie orientale, de sa naissance au début du XIXe siècle jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, s’exerce sur un vaste territoire soumis à l’autorité de l’Empire ottoman. Elle concerne donc l’Anatolie, aussi bien que l’Égypte et l’ensemble du Proche-Orient. Cependant, le lien étroit entre la découverte des inscriptions cunéiformes en Perse et le développement des premiers travaux archéologiques impose d’étendre à l’Iran le domaine de l’archéologie orientale.

L’histoire de cette discipline s’inscrit dans un contexte politique international qui détermine ses conditions d’exercice et son développement. En effet, on ne peut envisager l’archéologie orientale française en elle-même et ignorer les entreprises conduites par les autres pays occidentaux (Allemagne, Grande-Bretagne, Russie, États-Unis), dans la perspective commune de l’emporter dans les luttes d’influences et d’intérêts à l’égard de l’Empire ottoman et des pays nés de sa dissolution. L’archéologie orientale et son développement sont liés à la situation politique des pays concernés et à la politique étrangère conduite par les pays occidentaux. Ainsi, l’Expédition d’Égypte et de Syrie, fondatrice de l’égyptologie, est en premier lieu une campagne militaire conduite par Bonaparte pour contrarier le Great Game britannique.

Au Proche-Orient comme en Afrique du Nord, l’archéologie française devra s’adapter aux bouleversements politiques que connaissent les pays où elle s’exerce, ainsi en 1946 pour le Proche-Orient et en 1952 pour l’Égypte.

Plan de l'article :
I- Philologie et archéologie naissante
II- L’organisation de l’archéologie orientale  (1850-1914)
III- Archéologie et politique orientales au Proche-Orient (1918-1945)

 

   I- Philologie et archéologie naissante

L’intérêt des Européens pour l’Orient remonte bien au-delà du XIXe siècle, marchands, voyageurs et savants aventureux nourrissant cette curiosité de leurs découvertes et de leurs récits. Cependant, l’extrême fin du XVIIIe siècle marque un tournant décisif pour la connaissance des langues et des cultures orientales, lorsqu’en 1795 est créée à Paris l’École des langues orientales vivantes qui devient rapidement la pépinière des orientalistes de toute l’Europe. Quant au Collège de France, il se dote progressivement de chaires de persan, de sanscrit et d’arabe. L’Académie des inscriptions et belles lettres (AIBL) compte en son sein la grande majorité des orientalistes et assure le patronage des travaux scientifiques. L’institutionnalisation progressive des recherches sur les civilisations orientales se manifeste aussi par la création en 1822 de la Société asiatique qui organise immédiatement un Journal asiatique et jouera un grand rôle dans l’essor de l’archéologie.

Les savants orientalistes de ces institutions prestigieuses sont majoritairement des philologues et des hommes de cabinet, qui étayent leurs travaux sur les découvertes effectuées en Orient selon des modalités très diverses. Parmi les précurseurs, signalons J.J. Barthélemy (1716-1795), garde des médailles du Cabinet du Roi, qui découvre l’araméen à partir des inscriptions de Palmyre rapportées par l’Anglais R. Wood (vers 1717-1771), puis rétablit l’alphabet phénicien. Quant à A.H. Anquetil du Perron (1731-1815), il est à la fois aventurier et savant, prenant en 1754 le chemin de l’Inde et en rapportant le Zend Avesta, le livre sacré des Zoroastriens, ouvrant la voie à I. Silvestre de Sacy (1758-1838) pour l’identification de l’une des trois langues des inscriptions cunéiformes de Naqsh-i-Roustan, inaugurant ainsi le déchiffrement. L’histoire de cette aventure révèle son caractère éminemment international, puisque c’est un Danois, K. Niebuhr (1733-1815), envoyé en mission par son souverain, qui est l’inventeur de ces inscriptions, dont le déchiffrement sera poursuivi par un Allemand, G. Grotefend (1775-1853), et le Français E. Burnouf (1801-1852) qui offrira à son collègue britannique H.C. Rawlinson (1810-1895) le résultat de ses recherches ultérieures.

La philologie et l’épigraphie ont une nouvelle occasion de s’enrichir des travaux de terrain lorsqu’en 1798 est organisée l’Expédition d’Égypte et de Syrie. Cette association d’une campagne militaire et d’une exploration scientifique est alors inédite et crée un modèle, plusieurs fois reproduit au cours du XIXe siècle, en Grèce, en Afrique du Nord et en Phénicie. Bonaparte, en créant l’Institut d’Égypte et la commission chargée de la réalisation de la fameuse Description…, donne un cadre institutionnel à la nouvelle science. Non seulement la civilisation pharaonique est révélée mais la clef de son écriture est fournie par la découverte de la pierre de Rosette qui permet à J.F. Champollion (1790-1832) de décrypter le « système hiéroglyphique » (1822). Pour Champollion, la philologie ne saurait aller sans l’archéologie, et les associant dans sa perception de la civilisation antique, il entreprend de faire connaître celle-ci par l’étude des monuments et des objets qu’elle a produits. En 1828, il organise une nouvelle et pacifique « Expédition d’Égypte » franco-toscane, avec I. Rosellini (1802-1843), qui, outre son caractère international, fonde le modèle de la mission strictement scientifique, reproduit dix ans après la mort de Champollion, par K.R. Lepsius (1810-1884), fondateur de l’égyptologie allemande.

L’expédition scientifique prend encore une autre forme quand elle est associée à une mission diplomatique ; ainsi, celle du peintre E. Flandin (1803-1876) et de l’architecte P. Coste (1787-1879) qui, en 1839, accompagnent en Perse l’ambassade de M. de Sercey, chargé de négocier pour la France les mêmes droits commerciaux que la Grande-Bretagne et la Russie. Pendant deux années, les deux hommes parcourent la Perse et la Mésopotamie, relevant inscriptions et monuments réunis en quatre volumes qui ouvrent la voie à la recherche archéologique et marquent ainsi un tournant de l’orientalisme. Cette mission est également décisive car elle permet de combler partiellement le retard des Français sur les Anglais et provoque la prise de conscience par le gouvernement que l’archéologie peut jouer un rôle non négligeable dans le développement de l’influence de la France en Orient. Désormais, la nécessité d’explorer les ruines et de procéder à des fouilles s’impose, ainsi que celle d’affirmer et de développer la présence française en Orient. En 1842, le gouvernement de Louis-Philippe, inspiré par l’orientaliste J. Mohl (1800-1876), président de la Société asiatique, décide la création d’une agence consulaire à Mossoul confiée à P.É. Botta (1802-1870), avec le projet d’explorer les tells des environs. L’Anglais H.A. Layard (1817-1894), lui aussi diplomate, rencontre Botta et prendra sa suite sur les deux sites de Khorsabad et de Quyundjik où il découvrira les ruines de Ninive. Les relations amicales que les deux hommes avaient nouées n’empêchaient pas la concurrence de leurs nations. P.É. Botta est le premier d’une riche lignée de diplomates-archéologues qui se succèdent en Mésopotamie.

En 1851, après plusieurs années de suspension des fouilles à Khorsabad et sous la menace de la perte de la concession par les Français, V. Place (1818-1875) est nommé au poste de Botta et reprend les travaux jusqu’en 1854. En même temps, on confie à F. Fresnel (1795-1855) la direction de l’Expédition scientifique de Médie et de Mésopotamie qui se solde par un désastre, alors que les Anglais conduisent partout en Mésopotamie de très nombreux travaux. Depuis Bagdad où il a décidé de rester jusqu’à sa mort, Fresnel, conscient des handicaps de l’archéologie orientale française, appelle en vain à la création en Orient d’une école semblable à celle constituée à Athènes en 1846. Il rejoint ainsi le programme d’étude de l’Orient proposé par J. Mohl pour le Bureau des missions scientifiques et littéraires créé en 1842 auprès du ministère de l’Instruction publique.

On doit au dernier des archéologues-diplomates en Mésopotamie, E. de Sarzec (1837-1901), vice-consul à Bassorah et explorateur du site de Tello de 1877 à 1900, la découverte majeure d’une nouvelle civilisation, celle de Sumer. Une fois de plus, le chantier connaît de graves difficultés soulevées par les concurrents britanniques et les alea de la carrière diplomatique de Sarzec. Le constat déjà établi par F. Fresnel  est confirmé et met en évidence la nécessité d’une organisation globale des recherches et de crédits suffisants.

En ce qui concerne la Syrie, le Liban et la Palestine, l’archéologie française tarde à s’y développer, alors que Britanniques et Américains y sont très actifs. Ce n’est qu’en 1850, qu’au cours d’un voyage en Syrie et en Palestine, F. de Saulcy (1807-1880), épigraphiste et numismate, entreprend le premier des fouilles archéologiques à Jérusalem, fondant ainsi l’archéologie biblique. Il est par ailleurs proche de Napoléon III et contribue activement à la mise en place d’une véritable « politique archéologique ».

II- L’organisation de l’archéologie orientale  1850-1914

Dès 1848, E. Renan (1823-1892), dans L’Avenir de la science, juge bien insuffisant l’embryon d’organisation qu’a reçue l’archéologie en France et en appelle à la création « d’une grande organisation scientifique ». A défaut de la créer, Napoléon III réunit autour de lui une « équipe » de savants spécialistes de l’Antiquité classique et orientale conduite par l’épigraphiste L. Renier (1809-1885), qui lance de nombreuses entreprises de grande envergure. Il s’appuie en particulier sur l’École française d’Athènes (EFA) qui a été fondée en 1846 et deviendra le modèle pour les écoles et instituts implantés en un véritable réseau au cours des XIXe et XXe siècles, dans les pays du bassin méditerranéen. Même si elle tarde à affirmer sa vocation scientifique, l’EFA reçoit à partir de 1855 une génération de membres déterminés à concourir au développement des sciences de l’Antiquité et particulièrement l’archéologie. Les hellénistes G. Perrot (1832-1914) et L. Heuzey (1831-1922) en font partie et sont désignés par L. Renier pour mener deux missions scientifiques qui font accomplir un bond considérable à la science française : alors que le second se rend en Macédoine, le premier prolonge sa mission en Asie Mineure par une visite de la citadelle hittite de Bogazköy. Les photographies réalisées révèlent une nouvelle civilisation qui élargira encore le champ de l’archéologie orientale. L. Heuzey quant à lui se verra confier par l’AIBL le patronage des travaux d’E. de Sarzec à Tello et, convaincu de « l’action en retour » de la Grèce et de l’Orient, il se convertit à l’orientalisme, soutient les travaux de Tello et obtient la création au Louvre du département des Antiquités orientales (1881), dont il assure la direction.

Parallèlement, à partir de 1850, l’égyptologie française retrouve le lustre que lui avait conféré Champollion, grâce à A. Mariette (1821-1881) qui s’affirme comme résolument archéologue et s’emploie à doter l’Égypte des institutions indispensables et inédites pour les pays du Proche et Moyen-Orient : le service des antiquités (1858) et le musée de Boulaq (1863). Alors que la mort de Mariette est imminente, G. Maspero (1846-1916), en la personne de qui l’égyptologie a fait son entrée à l’École pratique des hautes études (EPHE fondée en 1868) et à la Sorbonne, propose en 1880 la création d’une École d’archéologie orientale du Caire sur le modèle des écoles de Rome et d’Athènes. Directeur de l’école et du service des antiquités, il organise les nombreux travaux archéologiques, en s’attachant à les répartir entre les archéologues des diverses nationalités.

La dernière des missions scientifiques commandées par Napoléon III est la célèbre Mission de Phénicie confiée à E. Renan en 1860. Elle reproduit le modèle inauguré par Bonaparte en Égypte, puisqu’elle est conduite à l’occasion d’une expédition militaire en Syrie, décidée pour défendre les chrétiens contre les Druses. Renan et ses collaborateurs bénéficieront d’ailleurs de la contribution des soldats aux travaux de fouille. Par la publication de sa Mission de Phénicie, Renan fonde l’archéologie phénicienne et offre au monde savant un traité fondamental qui gardera toute son importance pendant plusieurs décennies. Par ailleurs, après la chute du Second empire, Renan plaidera pour la création de chaires de philologie et d’archéologie orientales à l’Université et soutiendra en particulier la mise œuvre du projet de Maspero pour l’École du Caire.

C’est à un diplomate qu’est due la poursuite de l’œuvre pionnière de Renan ; en effet, C. Clermont-Ganneau (1846-1923), nommé drogman-chancelier à Jérusalem en 1867, se fixe l’objectif de promouvoir l’archéologie et la philologie en Phénicie et en Palestine. Il organise un réseau d’informateurs et procède lui-même à des explorations systématiques. Sans pouvoir renoncer à la carrière diplomatique, il assure cependant la Conférence d’archéologie orientale de l’EPHE, créée pour lui avec le soutien de Renan et de M. de Vogüé (1829-1916), et collabore au Corpus Inscriptionum semiticarum, dirigé par Renan, qui en 1890 obtient pour lui la création de la chaire d’épigraphie et d’antiquités sémitiques au Collège de France. Clermont-Ganneau lui-même joue un rôle déterminant dans la promotion des recherches sur le Proche-Orient, tout en étant conscient de la nécessité d’un « Centre de recherches méthodiques et continues » dont il conçoit le projet en 1882, sans obtenir sa création. En Palestine, le père A. Lagrange (1855-1938) répond partiellement au vœu de Clermont-Ganneau en créant à Jérusalem l’École pratique d’études bibliques (1890), qui n’a cependant pas vocation à conduire des fouilles archéologiques.

Après la guerre franco- prussienne de 1870-1871, l’Enseignement supérieur connaît une profonde réforme qui se manifeste par la création d’établissements nouveaux et de chaires à l’Université, dont bénéficient tout particulièrement la philologie, l’épigraphie et l’archéologie orientales. Pourtant en 1914, la situation n’est pas loin d’être catastrophique pour l’archéologie française dans l’ensemble de l’Empire ottoman : le seul chantier en activité est celui de Tello, auquel s’ajoute en 1913, la mission de G. Contenau (1877-1964) à Sidon, interrompue par la déclaration de guerre. Dans ce contexte, l’influence allemande auprès de la Porte va grandissant, alors que les Anglais exercent une suprématie incontestable et que les Américains s’affirment progressivement.

Cependant, c’est en Perse que l’archéologie orientale française se déploie depuis la création en 1897 de la Délégation archéologique française, dont la direction a été confiée à J. de Morgan (1857-1924), directeur intérimaire du Service des antiquités d’Égypte depuis 1892. Il intervient à la suite des travaux conduits sur le site de Suse par Marcel (1844-1920) et Jane (1851-1916) Dieulafoy. La Délégation dispose d’un budget considérable et constitue la plus grande entreprise archéologique jamais organisée par un pays européen. On ne peut s’empêcher de penser que l’ampleur de cette initiative explique en partie la « pauvreté » des moyens conférés à l’archéologie du Levant, de la Palestine et de la Mésopotamie, d’autant qu’il faut tenir en compte les investissements importants exigés par les écoles du Caire, d’Athènes et de Rome et par l’archéologie classique en France et en Afrique du Nord.

La Première Guerre mondiale bouleverse la situation du Proche-Orient, aussi bien sur le plan politique qu’archéologique.
 

III- Archéologie et politique orientales au Proche-Orient (1918-1945)

Alors qu’en 1914 l’archéologie proche-orientale française marque un retard manifeste sur l’archéologie classique et sur l’égyptologie, qui ont bénéficié de la création d’écoles ou d’instituts (EFA, EFR, IFAO) ou encore de services de fouilles (en Égypte et en Afrique du Nord), paradoxalement, la Première Guerre mondiale permettra de combler le déficit d’institutions au Proche-Orient. La remédiation était d’autant plus urgente que les autres nations occidentales –Allemagne, Grande-Bretagne et États-Unis tout particulièrement– ont renforcé leur présence au Proche-Orient et en Égypte par la multiplication des initiatives conduites par des sociétés spécialisées et la création du Deutsches Institut für Ägyptische Altertumskunde (1897). G. Maspero pallie cette situation d’intense concurrence en orientant le Service des antiquités vers la collaboration internationale, donnant ainsi l’exemple d’une exploration archéologique concertée et d’une coopération que les mandats anglais et français, établis au Proche-Orient après 1918, favoriseront.

Avant et pendant la guerre, les Français et les Anglais, que les ambitions allemandes inquiètent, s’entendent en 1912 pour définir leurs zones d’influence : la Syrie pour la France et la Palestine et l’Irak pour la Grande-Bretagne, ce partage étant confirmé par l’accord Sykes-Picot du 16 mai 1916. L’instauration en 1920 des mandats français et anglais sur les pays du Proche-Orient entraîne l’essor spectaculaire de l’archéologie, par la mise en place d’institutions et la multiplication des chantiers organisés grâce à l’action concertée des Français, Anglais et Américains. Dès 1920, alors qu’est créé à Damas l’Institut français d’archéologie et d’art musulman, la Syrie est pourvue d’un Service des antiquités placé sous l’autorité du Haut-commissariat et confié à la direction de l’helléniste membre de l’EFA, J. Chamonard (1865-1936), puis de l’orientaliste C. Virolleaud (1879-1968), auquel succèdera en 1929 H. Seyrig (1895-1973), lui aussi helléniste membre de l’EFA. Dans le même temps, l’AIBL qui s’est  pourvue d’une Commission de Syrie et de Palestine, est saisie d’une proposition de J. Garstang (1876-1956), égyptologue et orientaliste britannique directeur du Département des antiquités de la Palestine, qui suggère la création par la France d’une école française d’archéologie à Jérusalem, dans la perspective d’une collaboration avec la British School of Archaeology qu’il dirige et l’American School of Oriental Research (créée en 1921). C’est ainsi qu’en 1921 est mise en place l’École française d’archéologie auprès de l’École biblique de Jérusalem. Dans l’impossibilité d’ouvrir des chantiers archéologiques faute de moyens suffisants, on y développe la recherche épigraphique et l’enseignement des méthodes de l’archéologie la plus moderne. 

Dans ces conditions, assez semblables à celles de l’archéologie en Égypte, la recherche archéologique internationale se déploie et permet de reconstituer toute la protohistoire de l’Orient depuis la fin du Ve millénaire. Depuis la France, R. Dussaud (1868-1958), conservateur du département des antiquités orientales au Louvre et membre de l’AIBL, devient le maître d’œuvre de l’archéologie française au Proche-Orient, développant une politique très active de fouilles et suggérant le choix des sites de Byblos, de Ras Shamra et Mari-tell Hariri. Par ailleurs, en Iran la convention qui régit la Délégation française est modifiée en 1928 et un Service des antiquités créé à l’instar de ceux du Proche-Orient. La direction en est disputée entre E. Herzfeld (1879-1948), architecte et archéologue allemand, et A. Godard (1881-1965), architecte lui aussi, qui s’imposera et fera promulguer la loi relative à la découverte et à la conservation des antiquités inspirée de celles en vigueur au Proche-Orient. Les travaux se poursuivent à Suse sous la tutelle du Louvre, qui confie à R. Ghirshman (1895-1979) une mission sur le plateau iranien où l’on découvre des sites préhistoriques en liens étroits avec ceux du Proche-Orient. Lorsqu’en 1930 sont ouverts l’Institut français d’archéologie d’Istanbul et en 1946 celui de Beyrouth, l’archéologie française est représentée sur tout le pourtour méditerranéen, du Maroc et de l’Espagne jusqu’en Iran.

Le Proche et le Moyen-Orient sont devenus le véritable laboratoire d’une archéologie française profondément transformée au contact des missions étrangères associées à l’entreprise collective d’exploration de la préhistoire de ces régions. Les transferts culturels et scientifiques permettent l’affirmation d’une archéologie fondée sur des méthodes rigoureuses de fouille et d’étude. En Orient, l’archéologie est consacrée comme science exercée par un véritable « corps » de spécialistes soutenus par des institutions réparties en France et dans les pays placés sous mandat. Il ne manquait plus que de répondre au vœu d’E. Renan, en créant l’instance fédératrice de l’ensemble des institutions scientifiques, ce qui est réalisé en 1939, quand le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est créé. Toutes les formes de l’archéologie y sont représentées, les archéologies classique et orientale occupant à égalité une place dominante. En 1942, deux commissions distinctes sont formées au sein du CNRS, la XVe pour les « Fouilles archéologiques en France métropolitaine » et la XVIe pour les « Fouilles archéologiques hors de France ». En 1945, le CNRS remet son rôle de coordinateur de toutes les entreprises archéologiques à l’étranger, au Ministère des affaires étrangères, où est mise en place la « Commission des fouilles et missions archéologiques », au sein de laquelle R. Dussaud assure la responsabilité de la sous-commission « Proche-Orient/Asie antérieure » et y poursuit son œuvre de développement de l’archéologie orientale. En 1946, il évoque en commission la création de l’Institut de Beyrouth, suggérée et obtenue par H. Seyrig, qui en devient le directeur, lorsque l’autorité de la France sur la Syrie et le Liban prend fin et que s’ouvre une nouvelle ère de collaboration équitable entre le nouvel institut et le Service des antiquités syrien, associés pour assurer la formation de jeunes archéologues nationaux et conduire des travaux communs.

En Palestine à la même époque, la recherche archéologique se développe sous l’impulsion du RP. R. Guérin de Vaux (1903-1971) directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem de 1945 à 1965.

En Égypte, le soulèvement militaire de 1952 a pour effet de donner une direction égyptienne au Service des Antiquités, qui jusque-là avait été maintenu sous la responsabilité d’un Français. Quant à l’IFAO, il verra son activité suspendue en 1956, à l’occasion de la crise de Suez, qui provoque la rupture des relations diplomatiques franco-égyptiennes. La collaboration française se maintient cependant par l’intermédiaire de l’Unesco sollicitée par le gouvernement égyptien pour former des archéologues et constituer un Centre d’étude et de documentation sur l’ancienne Égypte (CEDAE).

Cette longue marche de l’archéologie orientale est constituée de nombreuses étapes – parfois semées d’embuches – mais qui aboutissent à la formation d’une véritable  science dotée de principes et de méthodes rigoureux, et défendue par des institutions qui, outre les moyens de son développement, lui ont fourni toutes les occasions d’affirmer sa vocation humaniste.

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