Alexandre Dumas (1802-1870)

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Minarets, chatoiements des soleils orangés sur les déserts du Sinaï, palmiers verts et ciels bleus, ruines antiques et traces de l’expédition d’Égypte, l’imaginaire d’Alexandre Dumas (1802-1870) est saturé d’orientales.

Romancier aux semelles de vent, Alexandre Dumas est fasciné par cet ailleurs qui aimante sa curiosité pérégrine. Plusieurs récits de voyage qui ont pour cadre le Proche et le Moyen-Orient naissent de cette passion. En 1839, Dumas écrit Quinze jours au Sinaï ; en 1856-1857, Pèlerinage de Hadji-Abd-El-Hamid. Médine et la Mecque ; en 1860, L’Arabie heureuse. Souvenirs de voyages en Afrique et en Asie. Or ces souvenirs de voyage sont ceux des autres. Dumas a prêté sa plume et son nom, satisfaisant sa passion pour un Orient rêvé, traversé plus que visité.

Dumas découvre l’Afrique du Nord à la fin de l’année 1846, après avoir assisté à Madrid au mariage du duc de Montpensier. Ce voyage le marque profondément. Il y a d’abord l’Andalousie, d’où émane « une senteur d’Arabie ». La région séduit Dumas parce qu’elle n’est déjà plus l’Espagne ; « de nos jours encore, le voyageur s’arrête étonné, hésitant, car il devine qu’il entre dans le monde mystérieux et inconnu de l’Orient », ajoute-t-il dans El Salteador. Dumas franchit par mer les portes de l’Occident à bord du Véloce. Il rejoint les rives algériennes et jette l’ancre près de Tanger. Il navigue ainsi le long des côtes, s’arrête, participe à des chasses, un mariage juif, visite Alger en calèche. Il accumule les objets insolites, s’imprègne des mœurs autochtones sur un rythme trépidant. Après Alger, Tunis. À Carthage, il contemple « le tombeau de saint Louis » et décrit un phénomène d’acculturation : « Au milieu des ruines de la Carthage romaine, s’élève un monument qui ressemble à un marabout arabe ; c’est le tombeau de saint Louis. Sans doute cette forme lui a été donnée par calcul. Les Arabes ne voyant point de différence entre le tombeau d’un saint français et d'un saint musulman, devaient respecter l’un à l'égal de l’autre. » Du consulat français aux cérémonies locales, d’un bal à une chasse aux perdrix, Dumas multiplie les activités, les rencontres. Après un mois de tourisme à toute allure, il rentre à Toulon le 4 janvier. Il rapporte de ce périple Le Véloce ou Tanger, Alger et Tunis, publié en 1848. L’intérêt de ce témoignage, outre sa truculence de plume, c’est son analyse anthropologique sur les groupes d’individus que Dumas croise. Mais le voyageur peint aussi l’entrelacs des rapports complexes entre l’Algérie et la France. Pour Dumas en effet, l’Orient n’est pas seulement un espace de méditation poétique mais un lieu de réflexion politique sur le devenir des civilisations et sur la rencontre des cultures.

L’Orient est un miroir tendu à sa condition d’artiste, comme le suggèrent les dernières lignes du Véloce, teintées de mélancolie : « La France, ce sont les contemporains, c’est-à-dire l’envie. L’étranger, c’est la postérité, c’est-à-dire la justice. Pourquoi donc cela est-il ainsi quand il serait si beau que ce fût autrement ? »

Dumas projette dans l’Orient un idéal politique et personnel, déjà présent dès ses œuvres de jeunesse. Dans son œuvre de fiction en effet, Dumas fait la part belle à l’Orient, envisagé comme terre de liberté, comme berceau de civilisation. L’opposition entre la France à l’Orient alluvionne son théâtre et son roman bien avant les impressions de voyage, vécues ou imaginées. Dans Charles VII chez ses grands vassaux, drame représenté à l’Odéon en octobre 1831, la création la plus originale est celle de Yaqoub, jeune arabe ramené en France par un grand seigneur. Dumas lui donne le beau rôle : il incarne à lui seul toute la violence et la liberté qu’on lie à l’Orient. Yaqoub est l’emblème des passions sincères. Au dénouement Dumas le sauve : l’indomptable Yaqoub s’enfuit et retourne au désert.

L’Orient de Dumas se déploie magistralement dans les pages du Comte de Monte Cristo. Le roman est parcouru par le souvenir des Mille et Une Nuits : maints topoï romanesques, bien des noms des personnages renvoient à l’imaginaire oriental des contes. Edmond Dantès lui-même reçoit l’enseignement de l’abbé Faria, qui fait de lui un érudit « à l’oriental ». Dantès joue ironiquement avec les clichés plaqués sur les mœurs lointaines. Il se fait d’abord passer pour un oriental puis, quand il rentre à Paris, pour un orientaliste, c’est-à-dire un savant au goût du jour. L’Orient permet ainsi à Dumas de légitimer ses identités de son héros, de justifier son savoir et son immense fortune. Car parmi les mythes orientaux figurent l’enrichissement exceptionnel et la connaissance occulte. Le parcours oriental d’Edmond Dantès est à mettre en parallèle avec l’Histoire récente et avec l’épopée personnelle de Dumas. Depuis les campagnes d’Égypte, l’Orient est associé à la découverte de trésors inouïs. Tel est le moteur du roman. Le souvenir des conquêtes impériales, c’est aussi la faille originelle d’Alexandre, fils du général Dumas, commandant en chef de la cavalerie d’Orient, héros de l’expédition d’Égypte.

Légende de l'image : Alexandre Dumas père

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